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six lieues au-dessus de Coron; le drapeau français flotte à terre. Le pavillon turc flotte à Navarin, à Modon et Coron. Cette plage est parfaitement saine et la peste n’y a pas paru cette année. Les Anglais, pour ôter prétexte à l’expédition, ont négocié le départ d’Ibrahim[1]. Un convoi égyptien, escorté par deux frégates anglaises, est peut-être, dans ce moment, à Navarin. Ibrahim, de mauvaise humeur, a abandonné son armée ; il est à Patras, absolument seul, et partira de même. Il a consenti à faire évacuer par les Egyptiens ; mais les Turcs qui occupent également Navarin, Modon et Coron, restent; il y a 800 à 1 000 hommes dans cette dernière. Aussitôt après l’évacuation des Egyptiens, on commencera à chasser les Turcs. Nous sommes plus heureux que nous ne pouvions l’espérer, d’après toutes les nouvelles qui nous portaient à croire que tout se passerait amicalement. Nous nous attendions ce matin à entendre quelques coups de fusil.

Rien n’est aussi affreux que l’aspect des environs des trois villes : le fond du golfe est assez riant; la côte à l’est, où sont les Maïnotes[2], est intacte. Les amiraux anglais[3] et russe[4] nous observent ; mais le renard a perdu sa queue, et, quoi que l’Anglais fasse, nous sommes arrivés avant lui.

Le cœur me saignait en route, de vous savoir dans les transes et d’être aussi bien portant et aussi joyeux.

Je t’écris à bâtons rompus, tant nous sommes pressés. Si jamais tu restais longtemps sans nouvelles de moi, ne t’inquiète pas : les lettres doivent passer par tant de mains, avant d’être à Toulon, qu’il est presque miraculeux qu’elles arrivent à bon port

Nous débarquerons ce soir. Nos figures, un peu allongées par les premières nouvelles, sont réépanouies : il paraît certain que l’on assiégera Coron, et que les Turcs sont, faute d’ordres, obstinés à conserver leurs places ; nous prions le ciel qu’ils persistent !

Fabvier[5] retourne en France; nous avons rencontré la gabare qui le portait : on ne conçoit rien à son départ.

Adieu, ma bonne et excellente mère... je t’embrasse tendrement

  1. Ibrahim-Pacha, fils de Méhémet-Ali, pacha d’Egypte, commandait les forces égyptiennes au service de la Turquie, sur mer et sur terre.
  2. La peuplade grecque des environs de Maïna avait été des premières à s’engager dans la lutte pour l’indépendance.
  3. L’amiral Codrington.
  4. L’amiral Heïden.
  5. Le colonel Fabvier commandait les Tacticos depuis 1825,