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autre démonstration de la part des Turcs que des hourras épouvantables, qui étaient sans doute des menaces. La troisième porte était tellement maintenue en arrière par un amas de terre et de bois, qu’il fallut escalader le mur, pour aller la déblayer derrière. Nous apportâmes nos échelles. Jusqu’alors la chose s’était passée fort paisiblement. Mais, au moment où nos échelles commençaient à s’élever, nous fûmes accueillis par une grêle de pierres, petites d’abord et que nous reçûmes en riant, mais qui grossissaient à vue d’œil et rendirent bientôt le poste presque périlleux. Notre capitaine en premier fut blessé de deux pierres à la tête ; le sergent et deux sapeurs le furent également d’une manière marquée, et tout le reste que nous étions en reçut, de raccroc, de moins sérieuses. Le général nous fit rappeler, et ainsi finit cette bataille tragico-comique. Au milieu de tout cela, tu penses que nous étions fort en colère; nos sapeurs, que nous avions ramenés à force de bras, avaient couru à leurs armes et les chargeaient déjà malgré nous; les Turcs riaient comme des fous. Au lieu de lancer deux ou trois compagnies sur plusieurs points, et d’enlever de suite cette bicoque, on nous avait rappelés, et cela parce que notre mauvais génie, ce vilain fantôme qu’on appelle diplomatie, était là, au milieu de nous, et qu’à quelque prix que ce fût, il ne fallait pas se brouiller avec les Turcs.

Je t’ai vu quelquefois raisonner politique, toi, Godefroy, et d’autres; je vous trouvais tous très forts et très savans. Je t’avoue que j’en rabats de moitié aujourd’hui, bien convaincu qu’entre vous tous vous ne sauriez trouver une bonne raison pour démontrer qu’après avoir été lapidés et contusionnés, nous avions encore dans messieurs les Turcs d’excellens amis, qui devaient aussi trouver fort amicale notre fantaisie de les déloger. Or, nous sommes plus avancés ici, et tu sauras donc que, bien loin d’être en guerre avec la Sublime Porte, nous sommes au contraire de ses meilleurs alliés; qu’il est bien vrai que nous voulons avoir les places de Morée, mais que cette fantaisie est tout à fait innocente; qu’entre bons alliés on doit tout partager, et que, les Français ayant déjà passé six semaines au bivouac, il est bien juste qu’ils aient leur tour, que les toits des maisons les abritent. Tu ne croiras sans doute pas que voilà les réponses qu’on a faites à ces pauvres diables, qui, au fait, ne sont pas si niais que l’on le croit en France, et qui, dans tout ceci, profitent tous, depuis le plus grand jusqu’au plus petit, — et cela avec beaucoup de