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Eugène Cavaignac à sa mère.


Château de Morée, 31 octobre 1828.


Ma très chère mère,

Au lieu d’aller à Coron, ainsi que je te l’annonçais dans ma dernière lettre, datée du milieu d’octobre, nous sommes venus à Patras aider la troisième brigade à faire le siège du château de Morée. La tranchée a été ouverte le 19. La place, occupée par 500 Turcs, a capitulé hier matin, après que nos batteries de brèche ont eu tiré pendant quatre heures. J’ai monté trois tranchées et m’en suis tiré avec mes deux oreilles. La première nuit, j’étais si content que je ne faisais pas attention aux balles; excepté cependant (pour être sincère) la première, que j’ai saluée, comme cela se pratique à une première entrevue entre gens bien élevés, c’est-à-dire assez profondément.

Les deux nuits et le dernier jour où j’ai été de tranchée, nous étions plus près et le feu plus vif ; le brave Lancelot avait peur! Ainsi tu ne seras pas étonnée de savoir que j’éprouvais une légère émotion. Je n’ai pas besoin d’ajouter que j’ai néanmoins fait bravement et consciencieusement ma besogne, qui consistait à faire des sapes volantes et pleines. Nous avons perdu une douzaine de tués ou blessés, dont deux officiers.

Nous travaillions dans un sable mêlé de grosses pierres que les boulets faisaient voler comme autant de coups de mitraille. J’ai eu un de mes travailleurs tué à quelques pas de moi par un boulet; enfin j’ai été bien et dûment au feu; c’est toujours autant par le temps qui court. Du reste je me porte comme un ange et suis fort content. — Demain nous nous embarquons avec le quartier général pour retourner à Navarin ou Modon. Je pense aller de là à Coron où je devais d’abord aller.

Adieu...


Eugène Cavaignac à sa mère.


Modon, 11 novembre 1828.


Ma très chère mère.

Je t’ai écrit du château de Morée après la prise de cette place. Depuis, ainsi que je te l’annonçais, nous sommes revenus à Navarin, à bord du Conquérant, d’où nous sommes venus à Modon