prendre les quartiers d’hiver. Nous sommes établis ici tant bien que mal, mais au moins sommes-nous à l’abri. Deux mois et demi de bivouac sont une chose inconnue à nos anciens militaires, qui grognaient à en être ennuyeux. Nous autres, jeunes gens, qui n’avons pas fait les campagnes d’Allemagne et d’Espagne, où, chaque soir, on trouvait une bonne maison et un bon souper et le reste, avons très gaiement bivouaqué, tout en trouvant que la poudre ne se brûlait pas assez.
Tout le monde parle de retour maintenant : je ne comprends pas comment des gens de bon sens peuvent y croire ; car, partons aujourd’hui, les Turcs reviendront demain. Il faut, avant tout, fortifier l’isthme de Corinthe. Notre colonel et quelques officiers du génie ont été le reconnaître. Sans doute, on commencera des travaux au renouvellement de la saison. Je crois fermement que l’occupation de la Morée sera longue. L’avenir décidera si cela nous vaudra mieux qu’un retour en France...
Au reste, nous avons un général en chef, qui, je ne sais pourquoi, ne peut sentir notre corps. Il nous emploie depuis deux mois et demi aux travaux les plus fatigans. Ce n’est pas mentir que de dire que la division nous doit beaucoup, puisque c’est nous qui avons réparé tout le mal qu’aurait dû occasionner l’imprévoyance des administrateurs. Beaucoup de nos soldats, — une soixantaine sur 400, — sont morts de ces fatigues, et il ne nous en tient pas le moindre compte.
Au reste, c’est une chose admirable que la nullité physique et morale de tous nos anciens hommes de guerre. Le général Maison viendra ici, sans doute, gagner son bâton de maréchal; mais il y perdra sa réputation, dans l’esprit, au moins, de toute l’armée. Cet homme, entouré d’un état-major composé comme le serait un salon de cour, ne pense à rien qu’au garde-manger, à la mollesse de son lit, et à l’étiquette. Notre armée, — déjà trop peu disciplinée, — semble désorganisée. Chaque colonel est un petit pacha qui ne reconnaît pas de maître. On se demande ce que tout cela serait devenu avec un ennemi en présence; peut-être eût-ce été un bien, car rien de plus obéissant que le soldat qui entend siffler une balle. Reste, ma chère maman, que — non pas à mon avis seulement, mais à l’avis de bien du monde — nous n’avons pas d’armée, et qu’il faudrait du temps pour en refaire une.
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