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qui persiste sous tous les changemens de régime ; or il y a toute apparence que, depuis l’antiquité, la plupart des paysans qui cultivent ici la terre sont, malgré plus d’un croisement, les descendans directs des Sikèles. Ceux-ci n’ont jamais cessé, même quand Agrigente et Syracuse étaient le plus florissantes, d’occuper tout l’intérieur de l’île. Leurs villages y étaient très rapprochés les uns des autres, comme le prouve la multiplicité de leurs nécropoles, et maints de ces villages, après que ces tribus se furent hellénisées, devinrent des villes populeuses. La Sicile a pu payer le tribut à Rome ou à Byzance, obéir à des maîtres venus d’Afrique ou de France sans que tous ces laboureurs, penchés sur leurs champs de blé ou leurs jardins d’oliviers, se soient jamais détachés du sol que leurs lointains ancêtres avaient été les premiers à défricher et qui avait nourri leurs pères.

Cette conjecture, fondée sur l’histoire et sur les recherches archéologiques, est confirmée par l’anthropologie. Un anatomiste éminent, le professeur Sergi, a étudié les crânes de Sikèles qu’a trouvés M. Orsi ; il en a mesuré beaucoup, et il les a trouvés très semblables, par leurs indices céphaliques, à ceux que l’on recueillerait aujourd’hui dans des tombes siciliennes fermées d’hier. S’il en est ainsi, l’élément sikèle l’emporterait, par sa proportion numérique, sur les autres élémens qui ont concouru à composer ce mélange, et, dans les rangs des fasci dei lavoratori, de ces ligues d’ouvriers de la terre qui ont pris récemment une attitude si menaçante et contre lesquelles il a presque fallu envoyer une armée, les arrière-petits-fils des Sikèles seraient en majorité.


GEORGES PERROT.