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comme des autres et nous volent comme ils les auraient volés. Mais, encore une fois, ce n’est pas la nation grecque, si elle existe quelque part ; c’est quelques centaines de mendians que nous retrouvons partout où il y a à piller, ou plutôt, de quoi vivre.

Nous avons trouvé, dans les magasins des places, une grande quantité de biscuit qui nourrissait cette armée d’Ibrahim, que l’on disait affamée et que les Grecs nourrissaient eux-mêmes. Chaque jour on fait des distributions aux Grecs que l’on emploie à nettoyer les villes que nous occupons, et dont la malpropreté est difficile à imaginer. C’est curieux que de voir tous ces affamés se précipiter sur cette nourriture ; il faut voir les chenils qu’ils habitent dans les faubourgs! En vérité, il est impossible de se croire ici dans un pays peuplé de ces hommes auxquels on a prêté tant d’exploits depuis trente ans. On nous raconte bien des choses sur tous ces chefs auxquels on a fait tant de réputation. Le seul que personne n’attaque, c’est Nikétas; c’est aussi le seul qui ait communiqué avec nous. Il passe pour brave et désintéressé; aussi est-il mal avec tous ses compatriotes. C’est un homme âgé ; d’une physionomie ouverte et prononcée. Il était venu s’établir sous des tentes, avec ses soldats, au milieu de notre camp de Navarin. Il était dans la foule, avec tous ses Grecs, le jour de la revue à laquelle vint Ibrahim, seul et à pied. Ceux qui le connaissent regardent comme étonnant qu’il ait laissé le pacha traverser paisiblement ses rangs. Quelques instans après, Ibrahim, que nous chassions, passait à cheval, et entouré par notre brillant état-major, à côté de Nikétas que nous venions soutenir. Ibrahim entrait dans la tente du général, y recevait les félicitations et les complimens de nous autres, ses ennemis; Nikétas, notre ami, et qui, je crois, vaut mieux que l’Egyptien, était à la porte, et personne ne faisait attention à lui. C’est une chose assez bizarre, mais cela est ainsi. Il faut avouer, toutefois, qu’il y avait là peu de convenance; au reste, Nikétas ne paraît pas en avoir gardé le souvenir ; c’est le seul Grec qui ait offert son bras et celui de ses soldats; les autres pillent et se gobergent ailleurs...

Les journaux de Paris nous font rire de pitié. Il est impossible qu’il y ait des individus assez impudens pour écrire les lettres que nous voyons imprimées dans les feuilles de France. Ces Grecs qui viennent se prosterner devant le drapeau blanc; ce cortège qui nous entoure et nous accompagne de ses bénédictions; ces marchands qui nous abandonnent leurs fruits en don ;