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ces allées de citronniers et ces superbes baraques qui nous recouvrent !... en vérité il faut avoir bien envie de mentir. Quand viendra la fin et qu’on comptera les hommes, on verra que l’armée a déjà souffert, et beaucoup souffert, non de la faim, car dans aucune campagne, peut-être, les distributions ne furent plus régulières ; mais du manque d’abris, du manque d’hôpitaux, et — ce qui paraît incroyable — du manque de médicamens. Pendant les six premières semaines, il n’y avait pas un grain de quinine dans un pays où l’on avait envoyé des hommes de l’art, chargés de reconnaître le climat. C’était pitié de voir nos hommes mourir faute de secours, tandis que quelques onces de quinine auraient sauvé bien du monde. Maintenant on en a, mais les morts ne reviennent pas. J’ai vu mon pauvre domestique en mourir presque à côté de moi. Depuis quinze jours, il avait la fièvre; un médecin venait tous les jours pour me dire : « Il n’y a pas de place à l’hôpital, il n’y a pas de quinine. » Et le pauvre diable a passé. A part le chagrin que j’en ai éprouvé, je suis dans un grand embarras, avec deux chevaux, sans domestique; car je n’appelle pas domestique un déserteur arabe que j’ai ramassé et qui me suit. Je ne t’avais pas parlé de la fièvre tant qu’elle a duré; aujourd’hui que le mal a cessé et que les malades se rétablissent tous, je puis t’en parler sans t’inquiéter... J’ai été de Petalidi à Navarin, de Navarin à Coron trois fois, de là à Fatras, de Fatras ici. Tout cela remue et chasse le mauvais air; aussi n’ai-je jamais été mieux portant... Adieu... je te quitte pour m’occuper de deux hôpitaux qu’il me faut organiser ici.


Eugène Cavaignac à sa mère.


Modon, 12 décembre 1828.

Tout le monde ici parle d’un prochain retour. Je ne me rends pas, — encore moins que par le passé, — et persiste à croire que le roi de France n’en sait pas plus long que moi, lui-même. Tant que je ne saurai pas positivement que la Turquie aura accepté le traité de Londres, je regarderai tous les dit-on comme de pures conjectures ; et, si tu te contentes de ce genre de nouvelles, je te dirai que, les compagnies supplémentaires de sapeurs ayant reçu contre-ordre à Toulon, que, l’intendant général ayant reçu l’ordre de ne pas faire d’approvisionnemens pour plus de