Je puis donc vous dire maintenant, sans crainte de faire à personne une peine sérieuse, que ce drame qui séduisit si fort le comité de lecture m’apparaît comme un exemplaire étonnant du vieux « drame en vers » dans toute sa poncive horreur. Et je m’en tiendrais à cette inoffensive constatation, si « la belle scène » de Frédégonde, celle que le public et presque toute la critique ont exceptée du désastre, n’était elle-même d’une « convention » affreuse et ne soulevait cette question inquiétante : — Le beau « dramatique » est-il si spécial, si à part, si différent des autres espèces de beau qu’il puisse se passer de toute vérité, et que l’absurdité même la plus évidente soit incapable de lui faire le moindre tort ?
La Frédégonde de M. Alfred Dubout est une femme excessivement méchante. Mais quand on a dit qu’elle est méchante, et qu’elle l’est avec une courageuse uniformité, et que toutefois elle aime ses enfans comme il arrive presque toujours aux monstres de mélodrame, on n’a plus rien à dire d’elle. J’ai peine à croire que la Frédégonde de l’histoire ait été si simple et si unie. Un fond de violente brute barbare aux appétits tout neufs ; par là-dessus, un commencement de culture latine, encore prétentieux et gauche, mais affinant déjà cette brutalité et la tournant en corruption ; le christianisme à travers cela, aggravant de superstition et de terreur cette méchanceté et cette luxure ; et, parmi le tout, des souplesses, une grâce et sans doute des faiblesses nerveuses de femme, quelque grandeur d’ambition, quelque beauté d’orgueil et quelque intelligence politique… il y avait là de quoi façonner, semble-t-il, une Catherine mérovingienne d’assez haut relief.
Mais, si peut-être cela est indiqué dans le drame de M. Alfred Dubout, on ne s’en souvient pas après l’avoir entendu. On dirait qu’il s’est appliqué à rendre insignifiante et sans accent l’atrocité de son héroïne. De parti pris et, qui sait ? par crainte d’être banal (oh ! que cela lui a peu réussi ! ) il a dédaigneusement écarté les deux événemens les plus tragiques et les plus laineux de la vie de Frédégonde : sa lutte contre Galswinthe et sa lutte contre Brunehaut, c’est-à-dire, justement, les deux épisodes où « la femme » parait le mieux sous le monstre, et qui pouvaient donc nous révéler Frédégonde entière. Et il n’a même pas eu cet artifice vulgaire, mais efficace, de faire la reine de Neustrie sincèrement et passionnément amoureuse, d’opposer cet amour à son intérêt ou à ses vices et, par là, de sus citer, quelque combat dans cette âme partagée. Sa Frédégonde n’aime pas son amant et ne se sert de lui que comme d’un instrument pour se débarrasser d’un ennemi. Elle n’est pas un moment divisée contre elle-même. Elle est d’une