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Les petits États des Balkans ont été maintenus dans une immobilité complète, et le duel si imprudemment provoqué par la Grèce est resté jusqu’au bout circonscrit entre elle et la Turquie. M. Hanotaux en a fait honneur à ce concert européen qui a été l’objet de tant de critiques, et qui, d’après lui, ne les a pas méritées. Admettons qu’il ne les ait pas méritées toutes. Au surplus, même si l’instrument est imparfait, nous n’en avons pas d’autre à employer, et ce n’est pas le moment de le discréditer, puisque nous continuons de nous en servir.

Que serait devenue la Grèce, si l’Europe, à l’égard de laquelle elle a pris jusqu’au dernier moment des libertés si grandes, avait tardé quelques jours de plus à lui accorder sa médiation ? Sa dernière imprudence, à savoir la réouverture des hostilités en Epire au moment où elles étaient déjà suspendues en fait du côté ottoman, avait encore empiré sa situation. La Grèce, ne pouvant pas se consoler de n’avoir pas enlevé un morceau, un lambeau, si petit fût-il, du territoire ottoman, a cru qu’un dernier effort lui suffirait pour s’emparer de Preveza. Elle n’a pas pris Preveza et elle a perdu Domokos. L’armée du prince héritier a été repoussée jusqu’aux Thermopyles, où elle n’était plus à même d’opposer une résistance sérieuse. La route d’Athènes était grande ouverte à l’envahisseur. C’est à ce moment qu’un télégramme personnel de l’empereur de Russie au sultan Abdul Hamid a mis fin, d’une manière définitive, aux hostilités. L’opposition, chez nous, a reproché au gouvernement de ne s’être pas associé à cette démarche, qui a été toute personnelle et spontanée de la part de Nicolas II. S’il avait pu le faire et s’il l’avait fait, on lui aurait reproché encore plus haut, et peut-être avec plus de raison, les termes qu’il aurait dû employer. Le tsar, en effet, témoignait au sultan son admiration et faisait appel à sa magnanimité. Ce sont là des termes qui peuvent être employés d’homme à homme, de souverain à souverain, mais qui auraient peut-être été jugés moins convenables de la part d’un gouvernement libéral. En tout cas, ils ont été immédiatement efficaces, et c’est ce qui importait le plus. On tremble pour la Grèce à la pensée de ce qui serait arrivé si l’armée ottomane, poursuivant désormais sans le moindre obstacle le cours de ses succès, avait continué sa marche en avant. L’étendard de l’Islam aurait bientôt flotté sur les murs d’Athènes, châtiment mérité peut-être de la plus coupable des folies, mais dont l’Europe chrétienne n’aurait pas été témoin sans angoisse et sans frémissement. Nous ne dirons pas, pour employer des expressions courantes, mais brutales, inexactes et impolitiques, qu’il y aurait eu reprise de la barbarie sur la civilisation : toutefois le cours naturel de