petite des deux salles, mais on peut être sûr que la foule y était très nombreuse et la curiosité fort excitée.
Les ennemis de La Bruyère n’avaient pas désarmé. Boursault raconte que, deux heures avant la réception, Messieurs de l’Académie trouvèrent sur leur table l’épigramme suivante :
- Quand, pour s’unir à vous, Alcippe se présente,
- Pourquoi tant crier haro ?
- Dans le nombre de quarante,
- Ne faut-il pas un zéro[1] ?
Bignon parla le premier : sa harangue ne sortait pas du cadre ordinaire des discours de ce genre. Il n’en fut pas de même de celle de La Bruyère, qui réservait à ses confrères et au public une grande surprise.
Ceux qui ont connu de près La Bruyère nous le dépeignent comme une sorte de rêveur, un personnage taciturne, empêtré, inégal, agissant par boutades, qui ne disait rien ou parlait trop ; en’ réalité, c’était un de ces hommes chez qui le dehors et le dedans s’accordent mal ensemble et se gênent l’un l’autre, qui sont timides d’apparence avec un grand fonds d’audace, et qui, lorsqu’ils ont pu se vaincre et triompher de leurs embarras extérieurs, vont plus loin que tout le monde, comme pour se dédommager. Les discours académiques, comme on avait l’habitude de les faire, lui semblaient sans doute ridicules, et il est bien certain que nous avons grand’peine à comprendre comment une société si spirituelle, si délicate, pouvait les supporter. Il était d’usage que le nouvel élu fit l’éloge de la compagnie qui avait bien voulu l’accueillir : rien de plus naturel ; mais cet éloge dégénérait souvent en hyperboles grotesques. Patru déclarait que « quelque part qu’il jetât les yeux, il ne voyait que des héros » ; il s’étonnait qu’on eût pu trouver à la fois en un siècle quarante personnes d’une vertu si éminente, et craignait « qu’un si grand effort n’eût pu se faire sans épuiser la nature. » Il semblait à Boyer que l’Académie était vraiment l’antre d’Apollon, « où à peine on avait mis le pied sur le seuil
- ↑ Cette épigramme m’en rappelle une autre, qui fut faite en 1731, à propos d’une réception académique. Mais cette fois, c’était le récipiendaire qui se moquait de lui-même. Quand cet original de La Condamine fut reçu, il fit distribuer les vers suivans à la porte de l’Académie :
- La Condamine est aujourd’hui
- Reçu dans la troupe immortelle.
- Il est bien sourd ; tant mieux pour lui ;
- Mais non muet ; tant pis pour elle.