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presse est libre, la tribune ouverte, le droit de réunion sans limites ! Guillaume d’Orange, accablé de revers, mais indomptable dans sa confiance, écrivait après une bataille perdue : « Je n’ai pas besoin d’espérer pour entreprendre, et de réussir pour persévérer. » A ceux qui entendent ainsi le devoir, la Providence réserve d’éclatantes revanches. Si la paix sociale n’était plus qu’une chimère, il faudrait ne croire ni à la raison humaine, ni à la justice divine.

Non, tout n’est pas perdu ; rien même n’est perdu. Mais il faut vouloir, et vouloir d’un cœur haut. Ce n’est pas en regardant la mêlée de loin, comme les stoïciens de Couture regardaient l’orgie romaine, qu’on rappellera la victoire à soi. C’est en se jetant dans la mêlée, au premier rang des combattans. L’arène électorale n’est-elle pas ouverte ? A ceux qui refusent de s’y lancer, la création d’œuvres sociales, la défense des intérêts agricoles et ouvriers, la discussion des réformes nécessaires, la lutte contre les sophismes et les mensonges, n’offrent-elles pas un champ d’action digne de leur activité ?

La démocratie, devenue trop tôt souveraine, est encore incertaine de sa voie. Lancée à pleines voiles sur une mer inconnue, elle peut, faute de pilotes, aller briser sa barque contre les écueils. Pourquoi les conservateurs ne seraient-ils pas au nombre des pilotes ? Ils voient bien que le passé n’est plus qu’un cadavre et qu’aucune puissance humaine ne réussira à ranimer sa glorieuse poussière. La Révolution remonte à plus de cent ans ; le suffrage universel à près de cinquante ; la République à vingt-sept. Une France nouvelle est sortie du formidable mouvement dont ces trois faits marquent l’origine et l’ascension. Inutile de maudire et de se lamenter ! Cette France nouvelle attend des serviteurs animés de son esprit et confians dans ses destinées ; elle ne veut ni des mécontens qui murmurent, ni des pleureurs qui gémissent.

L’heure est venue, même pour les obstinés, de « pardonner à l’inévitable » et de songer à leurs enfans plus qu’à leurs aïeux. Que les conservateurs surmontent donc leurs défiances, qu’ils oublient les affronts reçus, les injustices subies, les calomnies, tous ces legs détestables d’un siècle de révolutions : on ne se venge pas sur la patrie. Il dépend d’eux que la démocratie soit la plus bienfaisante ou la plus perverse des puissances. Au milieu de beaucoup de tristesses, quelques présages heureux semblent annoncer des jours meilleurs. La fraternité est mieux pratiquée