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déclarer que c’était avec l’espoir bien arrêté de voir les conséquences logiques de la situation nouvelle se dérouler, et non pas dans l’intérêt hygiénique que, d’après les apôtres du système, ils auraient eu seul en vue. Une nouvelle armée de fonctionnaires, nombreuse comme on en aura vu rarement, même dans notre pays béni de tchinovnik et de mandarins, va donc s’abattre sur la France. Nous finirons par avoir besoin d’une autorisation du ministre des finances pour planter un prunier ou un cerisier dans notre jardin, exactement comme il nous faut aujourd’hui un firman pour y faire pousser un plant de tabac. Nos citadins ignorent sans doute qu’il est interdit de cultiver le tabac dans les trois quarts de nos départemens ; que, dans le quatrième quart, les permissions sont accordées, en tenant compte des demandes des planteurs et du contingent fixé dans chaque arrondissement, par une commission de cinq membres, composée du préfet, du directeur des tabacs, du directeur des contributions indirectes, d’un membre du conseil général et d’un membre du conseil d’arrondissement. Comme les Suisses ont la pomme de terre électorale, nous avons le tabac électoral, sous forme du permis de culture. M. Yves Guyot, dans l’une de ses conférences, rappelait à ce propos le mot d’un homme politique lui disant que pas un seul de ses adversaires ne ferait jamais pousser un pied de tabac dans sa circonscription !

Et comment comparer le tabac, plante exotique, dont la culture n’est possible que dans certaines régions de notre pays, avec les nombreux produits agricoles indigènes qui sont propres à la distillation ? L’arbitraire n’a-t-il pas eu déjà sa part dans la désignation des vingt-deux départemens auxquels est limitée l’autorisation ? Personne n’a cherché à faire le compte de ce que ces entraves à la liberté ont, par voie indirecte, coûté au pays. Qui nous prouvera que cette culture du tabac n’eût pas rapporté des bénéfices considérables là où elle est interdite ? qu’elle n’eût pas constitué un assolement précieux pour certaines terres ? De ce qu’un peuple est habitué à un mal, il ne faut pas conclure que le mal n’existe pas. Il ne faut pas croire surtout, parce qu’un monopole règne, que d’autres s’établiront sans dommage matériel et moral pour le pays. Enfin le rendement élevé que fournit le tabac pourrait être obtenu sans monopole : l’impôt simple rapporte à l’Angleterre presque autant que le monopole à la France.

Nous entrons malheureusement de plus en plus dans une voie