On imagine volontiers qu’il y a du mystère dans la façon dont se font les réputations et que la disproportion qu’on observe entre le mérite des gens et leur célébrité doit tenir à de certaines causes enveloppées et obscures. C’est se mettre en frais d’imagination. Les choses se passent beaucoup plus simplement, grâce à la docilité merveilleuse de ce qu’on appelle : l’opinion. Le public, celui de la postérité comme celui des contemporains, est de complexion paresseuse et d’humeur confiante. Il croit sur leur parole tous ceux qui ont trouvé le moyen de se faire entendre de lui. Panégyristes ou calomniateurs, nous ne leur demandons que d’avoir un peu d’adresse avec un ton d’assurance, et d’enfler la voix. Le XVIIIe siècle est tout plein de ces réputations fabriquées par les intéressés. Celle de Mme Geoffrin est du nombre. Les encyclopédistes ont prodigué l’encens à leur bienfaitrice : ils l’ont payée de ses libéralités par leurs flagorneries. Et nous ne songeons guère à les blâmer de n’avoir pas été des ingrats. Mais il se trouve que leur témoignage a été reçu sans contrôle. On a répété d’après eux que le salon de la rue Saint-Honoré, éclipsant tous les autres, aurait, par un mélange unique du raffinement avec la hardiesse et des élégances mondaines avec la profondeur philosophique, offert pendant vingt-cinq années l’expression la plus achevée de l’esprit français. Tel est encore le point de vue auquel se place le dernier biographe de Mme Geoffrin, M. Pierre de Ségur, dans le volume qu’il publie sous ce titre significatif : le Royaume de la rue Saint-Honoré[1]. Le livre est
- ↑ M. Pierre de Ségur, Le Royaume de la rue Saint-Honoré, 1 vol. in-8o Calmann Levy). — Cf. Tornézy, Un bureau d’esprit au XVIIIe siècle (Lecène et Oudin) et le comte Ch. de Mouy. Stanislas-Auguste et Mme Geoffrin (Plon).