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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 141.djvu/929

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qu’il faut l’aller chercher, c’est dans les lettres qu’elle adresse à son « enfant » royal. Elle l’a connu tout jeune à Paris, a payé ses dettes et réglé le compte de ses fredaines. A la nouvelle de son élection, elle déborde de joie. Il n’est pas exact que Stanislas-Auguste lui ait écrit la phrase fameuse : « Maman, votre fils est roi » ; pareil à tous les mots historiques, ce mot n’a jamais été prononcé. Mais c’est bien Mme Geoffrin qui écrit : « Mon cher fils, mon cher roi, mon cher Stanislas-Auguste, vous voilà trois personnes en une seule. Vous êtes ma Trinité. Imaginez, s’il vous est possible, mon transport de joie à la réception de cette divine lettre datée du 9 septembre. Je vous ai cru notre bon Henri IV, et moi je me suis vue Sully. » L’expression, pour emphatique qu’elle puisse paraître, ne dépassait pas la pensée de Mme Geoffrin. Elle se voyait en effet dans le rôle d’une sorte de premier ministre, investie de la confiance du roi, le représentant à l’étranger, ayant qualité pour donner des nouvelles sûres des choses de Pologne, recevant les hommages des nobles Polonais de passage à Paris. De là son courroux sitôt qu’on empiète sur les attributions qu’elle s’est elle-même octroyées. Un sieur de la Marche se présente au ministère des Affaires étrangères comme chargé d’une mission par le gouvernement polonais. Quel est cet intrus ? Un nommé Louis, architecte, se donne pour être l’agent de Stanislas-Auguste. Pour le coup Mme Geoffrin se fâche tout net. « J’ennuierai Votre Majesté peut-être jusqu’à l’impatience ; pour moi, je suis bien sûre que cela me ferait cet effet si je reparlais de cette espèce. J’ai vidé mon sac dans les premiers momens de ma colère et je ne le remplirai plus de cette ordure. » Louis est un ingrat, un intrigant, un insolent, c’est un coquin, c’est un faquin, quoi encore ? Ce sont ainsi, au moindre déplaisir, d’aigres reproches, des allusions directes sous forme de maximes générales, une affectation de respect et l’emploi comique de formules cérémonieuses. On ne saurait trop admirer la bonhomie charmante avec laquelle le prince accueillait les incartades de cette maternité grondeuse.

Il fallait faire éclater aux yeux de l’Europe entière cette intimité d’une bourgeoise avec un roi. Ce fut la raison déterminante du fameux voyage en Pologne. L’idée première de ce voyage vint de Mme Geoffrin, non du roi. Stanislas-Auguste se borne à ne pas s’opposer trop ouvertement à un projet qu’il devine cher au cœur de sa vieille amie ; mais il en souligne les inconvéniens : le déplacement est considérable, Mme Geoffrin est âgée, elle n’est jamais sortie de Paris, elle est habituée au luxe ; et d’ailleurs que de tristesses lui réserve le spectacle