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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 141.djvu/941

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des consolateurs. Leur voix indifférente essaie de couvrir la voix de Senta, mais elle ne peut y parvenir. Et qu’elle n’y parvienne pas, cela nous a paru l’autre soir le signe certain que l’œuvre de Wagner enferme au moins une parcelle de vérité profonde et d’éternelle beauté. Hélas ! en ces jours de deuil, nous venions d’éprouver nous-même que la vie intérieure est la plus forte, et que toutes les voix du dehors ne sauraient imposer silence à celles qui parlent, surtout à celles qui gémissent et qui crient au dedans de nous. Il est des châteaux de l’âme, comme a dit la plus mystique des saintes ; et que le rêve, la pensée, ou la douleur les habite, la vie extérieure peut bien les assaillir, les ébranler même : elle ne les forcera pas.


Vous trouverez encore un bel exemple d’amour fidèle et de renoncement dans l’histoire de Zénaïde Bréju, l’héroïne du nouveau ballet de l’Opéra.

Fille d’une fruitière qui tenait boutique aux environs du Pont-Neuf à la fin du siècle dernier, Zénaïde n’aimait au monde que la bourrée et le petit Séverin, apprenti saltimbanque. Un jour, l’illustre Vestris, en se promenant au bord de l’eau, vit danser la jeune fille, et, charmé de sa grâce, lui proposa de la faire entrer à l’Opéra. En même temps, les sergens de l’armée du Rhin s’emparaient du petit amoureux et l’entraînaient, lui aussi, malgré sa résistance, dans une plus glorieuse carrière. Voilà le premier acte. Et le second nous montre d’abord un examen à l’Opéra et le triomphe de l’étoile en son éclat naissant ; puis le retour de Séverin, passé caporal ; enfin la démission de Zénaïde, sacrifiant son art à son amour et ses jambes à son cœur.

Le jour où les propos indiscrets d’une femme de chambre apprirent à la petite Paule Méré qu’elle n’était pas orpheline et qu’elle avait pour mère la première danseuse de Venise, vous rappelez-vous toutes les belles choses que se figura la romanesque héroïne de M. Cherbuliez ? « J’avais deviné, dit-elle, que la danse est un art. Je me persuadais que ma jeune maman était la favorite de mes fées, une prêtresse vouée au service de leurs autels, et qu’elle avait reçu de ses divines patronnes la mission d’inspirer aux hommes l’amour des belles lignes et de leur enseigner les lois de la cadence, les secrets de l’harmonie, l’art d’exprimer par les grâces de l’action l’accord des sentimens et des pensées. Quand j’étais seule, fermant les yeux, je croyais voir un rideau se lever, et ma jeune maman m’apparaissait… Par ses postures et ses attitudes, elle révélait à la foule émue le grand mystère des lignes onduleuses, que connaissent les soleils et les oiseaux,