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abordés, en effet, M. Couperus a obtenu tout le succès qu’il pouvait désirer : à son Eline Vere comme à son Illusion, à son Extase comme à sa Fatalité, ses compatriotes ont fait l’accueille plus chaleureux ; et lorsque, dans Majesté et la Paix du Monde, il leur a présenté deux spécimens d’une forme nouvelle, tenant à la fois du poème philosophique, du roman d’aventures, et de la satire sociale, ils ont été unanimes à juger que de toutes les formes possibles celle-là était la mieux faite pour convenir à son talent, et la plus conforme au génie de sa race. Mais voici que déjà le jeune auteur s’en est fatigué, de même que des autres. Il n’y a plus trace d’aventures, ni de satire, ni presque de philosophie, dans les Métamorphoses ; et c’est un premier point par où ce livre me paraît avoir, en plus de sa très haute valeur littéraire, quelque chose comme l’intérêt d’un signe des temps.


Car cette instabilité, ce perpétuel besoin de changement dont il témoigne, chez un écrivain depuis longtemps célèbre, — le plus célèbre, et fort justement, des romanciers hollandais, — ils se retrouvent à des degrés différens, d’un bout à l’autre de l’Europe, chez la plupart des jeunes écrivains. Ils se retrouvent par exemple en Allemagne, où M. Sudermann imite à tour de rôle Scandinaves, Russes, Français et Anglais ; où M. Hauptmann déconcerte ses admirateurs eux-mêmes par la rapidité et l’imprévu de ses évolutions, et où l’on voit jusqu’à des vieillards, comme M. Spielhagen et M. Heyse, renoncer brusquement à leur ancienne manière. Ils se retrouvent encore en Pologne, et en Russie, et en Italie, et dans les pays Scandinaves, où chaque année voit surgir une école nouvelle. De nouvelles écoles, combien en avons-nous vu surgir et disparaître, en France, depuis dix ou douze ans ? A combien de genres divers se sont essayés tour à tour nos poètes et nos romanciers, depuis le sonnet parnassien jusqu’à l’ode renouvelée de Ronsard, depuis le tableau naturaliste jusqu’au récit « néo-grec » ? C’est une succession ininterrompue de formules artistiques, dont on pourrait dire que leur unique principe est d’être à l’opposé les unes des autres. Et non seulement tout débutant se croit tenu de différer tout à fait de ses prédécesseurs, mais il s’ingénie ensuite à différer de lui-même, et à changer de manière pour chacun de ses livres. C’est comme si, à force de vouloir être « personnels », nos auteurs avaient perdu toute personnalité, et que toutes les formes, toutes les façons de sentir et de comprendre, leur fussent devenues également accessibles, pour ne pas dire également étrangères : encore que, en y regardant de plus près, on découvre que ce n’est point la personnalité