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doute, que les épisodes qu’il y a ajoutés ne font jamais corps avec lui, restant, pour ainsi dire, en marge du récit principal.


Mais il est temps d’en venir à ce récit lui-même, et d’indiquer les métamorphoses successives qui forment, dans leur ensemble, la carrière littéraire de Hugo Aylva. Elles sont, d’après M. Couperus, au nombre de cinq, dont chacune fait l’objet d’un chapitre spécial, portant comme titre le titre d’un des livres du jeune héros. Il y a ainsi le chapitre de Torquato Tasso, celui de Mathilde, celui de Nirwana, celui d’Anarchisme et enfin celui des Métamorphoses ; car le dernier roman de Hugo Aylva a le même nom que le dernier roman de M. Couperus, et le caractère autobiographique de l’ouvrage se trouve, par-là, affirmé une fois de plus. Mais la vérité est que, de ces cinq métamorphoses, deux seulement ont une importance essentielle, la première et la dernière, celle qui transforme un jeune poète en un romancier réaliste, et celle qui le conduit à se prendre soi-même pour sujet d’un roman. Les autres ne sont, en fin de compte, que les phases progressives d’une lente évolution : ces deux-là sont vraiment des révolutions, des changemens brusques, complets, troublant de fond en comble toute la vie d’une âme.

Au début du livre, Aylva s’occupe à finir un grand poème, Torquato Tasso, dont des fragmens ont paru déjà dans une revue d’Amsterdam. Il n’a en tête que de beaux rythmes et de belles images, trop heureux de pouvoir oublier, tandis qu’il écrit, la mesquine et banale réalité qui l’entoure. Mais voici qu’un de ses amis de collège, Hermann Scheffer, lui apporte les anciens romans de M. Zola. Aylva ne connaissait encore que l’Assommoir et Nana : il lit la Fortune des Rougon, la Curée, la Faute de l’abbé Mouret, et à son imagination d’enfant ces œuvres font l’effet de vastes poèmes, auprès desquels son Tasse lui semble tout au plus un honnête devoir sagement composé. Il n’a point de cesse pourtant qu’il l’ait achevé, et à tout moment son enthousiasme d’autrefois lui revient au cœur, il se sent né pour le rêve, non pour l’observation ; le peu qu’il a entrevu de la vie n’a fait que le remplir de mélancolie : et des romans mêmes de M. Zola il ne tarde pas à se fatiguer. Pourquoi donc les derniers chants de son poème n’ont-ils plus ni la fraîcheur, ni la liberté des premiers ? Pourquoi, ce poème fini, met-il si peu d’entrain à en finir d’autres ? C’est un peu parce que son ami Scheffer le raille sur ses goûts « vieux-jeu » : un peu aussi parce que son Tasse lui vaut d’amères critiques parmi des éloges ; un peu parce qu’il a l’impression que désormais le monde n’a plus