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détestable, et qui a perdu depuis lors tout pouvoir d’aimer. En vain Hugo Aylva lui lit ses livres, en vain il l’intéresse à ses projets artistiques, en vain il lui fait voir qu’il mourra de tristesse si elle ne consent pas à se donner à lui. L’impitoyable femme s’obstine à ne se point donner, répétant toujours que son « cœur est mort », et pleurant et se désolant sur ce cadavre, qu’il ne tiendrait qu’à elle de ressusciter. Oui, décidément, elle est invraisemblable, et Aylva aussi, qui prend si au sérieux ses coquetteries ! Mais comme, au contraire, l’autre histoire d’amour est naturelle et touchante, et quelle délicieuse figure que cette petite Emilie qui, dès les premiers chapitres et tout au long du livre, éclaire de son doux sourire la vie du jeune homme ! Longtemps celui-ci, tout occupé à s’analyser, dédaigne l’hommage discret qu’elle lui fait des roses de son cœur ; et quand enfin il s’en aperçoit, après des années, peut-être jugera-t-on qu’il n’en éprouve pas autant d’orgueil et de joie qu’on aurait voulu. Mais d’autant plus on aime cette exquise jeune fille. On se plaît à la voir à la fois si naïve et si sage, si tendre et si réservée ; on songe aux adorables jeunes filles des romans de Dickens, ses sœurs, simples, gracieuses, aimantes comme elle ; et il y a des momens où l’on est heureux d’oublier les « métamorphoses » de Hugo Aylva pour s’attarder auprès de cette enfant, qui reste la même malgré les années.

Cette histoire d’amour aurait de quoi, à elle seule, justifier le succès du nouveau roman de M. Couperus. Mais elle n’est, dans le roman, qu’un épisode, et sans aucun rapport avec le sujet principal. Que la petite Emilie aime ou non Hugo Aylva, qu’elle l’épouse à la fin du livre ou qu’elle se marie avec un autre homme, cela ne touche en rien à la suite des « métamorphoses » du jeune psychologue : car ces métamorphoses sont tout intellectuelles, ce sont les courses qu’il fait d’un idéal à l’autre, dans sa recherche passionnée de la perfection esthétique. Il y a ainsi à travers tout le livre deux récits qui vont côte à côte sans se confondre jamais : le récit de l’évolution d’une pensée et celui d’une aventure d’amour. Et je ne puis m’empêcher de croire que la faute en est au genre même que s’est choisi M. Couperus. C’est parce qu’il a essayé de raconter sa propre vie, ou tout au moins la vie de son esprit, qu’il n’a pas trouvé un moyen d’unir plus intimement ces deux récits parallèles. Il y aurait fallu un artifice d’invention, mais plutôt encore il y aurait fallu une pleine liberté dans la conception et la composition du roman. M. Couperus s’en est tenu, pour une partie du livre, à ses souvenirs personnels ; il a voulu être exact, noter l’enchaînement de ses idées tel qu’il se le rappelait ; et de là vient, sans