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mère agonise loin de lui. Il s’occupe, pendant ce temps, à raconter l’histoire d’un empereur rêvant la paix du monde, et dans cette œuvre d’une haute portée philosophique, destinée à recueillir tout le fruit de son expérience et de sa réflexion, le seul véritable objet qu’il poursuive est le même qu’il poursuivait jadis dans ses vers de jeunesse : il n’a toujours en tête que de beaux rythmes et de belles images.

Deux catastrophes survenant coup sur coup, le suicide de son ami Den Bergh et la mort de sa mère, le tirent brusquement de son extase poétique. C’est alors aussi que, de retour en Hollande, il découvre enfin l’amour d’Emilie, si longtemps, si aveuglément dédaigné. Et la dernière métamorphose se produit en lui Le soi-disant observateur s’aperçoit qu’il n’a jamais rien su, qu’il a passé comme en un songe à travers la vie, et que non seulement il n’a compris ni sa mère, ni son ami, ni la chère jeune fille, mais qu’il n’a même jamais tenté de les comprendre. Ainsi il en vient à réfléchir sur l’histoire de son âme. Une longue suite de transformations, inconscientes et fatales, une série de métamorphoses, c’est là ce qu’il a été, du plus loin qu’il se revoit. Et un désir le prend de raconter ces métamorphoses, puisque, aussi bien, il ne connaît que lui seul, et que toute son observation ne peut porter que sur lui.


Mais je crains que cette analyse ne donne une idée par trop insuffisante de l’intérêt du roman de M. Couperus. C’est un roman tout en nuances, subtil, un peu fuyant, quelque chose comme un roman impressionniste, où les faits les plus importans ne sont encore qu’à peine esquissés. Mais il a du charme, il est naïf et tendre, et personne ne le lira sans en être touché. Et si peut-être il manque trop de réalité, s’il n’a point la couleur ni le relief de la vie, la faute en est sans doute à ce qu’il est trop vrai, l’auteur n’ayant voulu le faire qu’avec ses souvenirs.

Fort heureusement, d’ailleurs, cet excès de vérité n’a rien de gênant. Car il y a une chose dont ni Hugo Aylva ni M. Couperus ne semblent point se douter, mais qui n’en apparaît pas moins clairement aux lecteurs de leurs livres : sous la série de leurs métamorphoses, ils restent tous deux des poètes, et les plus graves sujets leur sont surtout l’occasion de beaux rythmes et de belles images. C’est même, en fin de compte, la seule conclusion définitive qu’on puisse tirer de ces Métamorphoses, touchant l’histoire intellectuelle de leur jeune auteur. On y voit comment les circonstances, et cet instinct de changement qu’il portait en lui, l’ont ballotté sans arrêt d’un idéal à l’autre, mais