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détruit dans quelques années les admirables forêts du territoire de Kashmir. Elles sont d’ailleurs délicieuses, leurs chèvres, répandues dans les prés et les bois, avec leurs longues soies ondulantes d’un blanc jauni, aux dégradés de beige et de brun doré. Je les vois encore se dresser debout dans les branches des saules qu’elles dévorent lestement, ravissantes de grâce et de beauté. Et les chevriers et chevrières, une belle race du pays de Kangang : les hommes superbes de force élégante, belle barbe noire, brillante et taillée, teint assez pale, nez droit, le type grec avec de beaux yeux éclatans ; les femmes, vêtues de bleu comme les hommes, sont artistement belles avec la note bleu pâle des turquoises en colliers sous ces figures de statues. Elles portent leurs fardeaux sur la tête et s’en vont, leurs beaux bras levés, les yeux rians, l’air heureux de vivre…

Nous nous élevons au-dessus de la vallée du Sind par des pentes de prairies plus ou moins plantées, coupées de pentes blanches d’avalanches ; les chevaux n’ont plus sur le sentier que la largeur de leurs fers et leurs quatre pieds s’y placent l’un derrière l’autre. Nous arrivons à Baltal, le dernier campement avant la passe du Zodjilà, l’adieu au pays verdoyant de Kashmir. A notre gauche, à quatre ou cinq heures de marche, c’est le val d’Ambarmath que le pont de neige écroulé nous empêche de prendre ; les Caves d’Ambarmath où les Hindous vont, par le froid et la neige, faire leurs dévotions, hommes et femmes, tous dans le costume de nature, plus une feuille de vigne ou son équivalent pour les deux sexes. Et ces pauvres Hindous viennent des Indes où le thermomètre ne descend jamais au-dessous de 25° ou 30° de chaleur et monte en été jusqu’à 50°. C’est au sortir de ces régions brûlantes qu’ils affrontent les hautes altitudes, traversant les neiges pendant des jours et des jours pour atteindre Ambarmath par la route du Sud. La passe de Zodjilà est, à 3 375 mètres, comme la barrière d’un nouveau pays : plus de bois, d’immenses parois sauvages rosées par le soleil, des neiges, de grands glaciers, et au fond de la gorge que nous allons redescendre, la rivière de Dras, née au Zodjilà. L’air est léger et vivifiant, c’est du Champagne que l’on croirait boire.

Je n’ai pas encore parlé de mon personnel. Le jeune Samy, le petit Hindou de Pondichéry qui m’avait accompagnée avec tant de dévouement jusqu’à Srinagar, y grelottant sous vingt-quatre degrés, j’ai dû organiser un service mieux approprié aux