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extraordinaire. Le teint assez pâle, les longs cheveux couvrant les épaules, retombant de chaque côté des joues, une petite toque plate sur la tête qu’il met et laisse tomber selon les circonstances. La danse était accompagnée de chants qui devaient être des chants d’amour, simulant l’amour tendre, passionné, désespéré d’une femme, et c’était des scènes tout entières jouées, s’approchant jusqu’au bord du tapis que je fais étendre devant ma tente, se traînant à genoux dans des grâces bizarres, mais très curieuses au point de vue artistique.

Les femmes sont toujours pour moi un objet de curiosité, avec leur costume bizarre qui sied fort bien à leur genre de beauté. Le peyrak — la longue bande de turquoises qui descend sur le front et dans le dos au milieu de leurs cheveux noirs et des oreillettes de fourrure, — est un véritable douaire qu’elles se passent de mère en fille. Elles portent sur l’épaule une sorte de toge romaine en laine rouge bordée de bronze, passée sous un bras et rattachée sur l’épaule gauche, doublée de chèvre blanche à longs poils qui font ondoyante collerette et franges au bas du manteau. Les plus pauvres mettent sur leur dos une ou deux grandes peaux de chèvre à longues soies flottantes, leur lit et leur manteau tout à la fois.

Le Résident politique, le capitaine Trenche, un charmant Irlandais, arrive à Leh, un jour après nous. Le Wazir, gouverneur, est allé à six milles au-devant de lui, et toute la population est massée dans le bazar, les cent hommes de troupe, les lamas sur les terrasses soufflant dans leurs longues cornes, les femmes dans la rue frappant leurs manchettes de coquillage Tune contre l’autre en manière de salut. C’est chez lui que je fais la connaissance du Wazir : très empressé à faire plaisir à l’amie de son adjoint, il se chargera d’envoyer des exprès derrière moi pour me porter deux courriers, jusqu’à ce que les lettres puissent remonter des Indes au-devant de moi.

Leh possède un officier chinois arrivé comme moi de la veille, porteur de lettres d’introduction et peut-être chargé d’une mission secrète. J’ai vu le plateau des présens offerts au jeune fonctionnaire anglais, je dirais presque des condimens : gingembre, sucre en caramel, brique de thé, paquet de tabac, médicamens pour je ne sais quels maux, petits morceaux servant de nourriture pour 24 heures, encre de Chine, papiers de Chine, menues graines. Ce soir, il est invité à dîner et on nous donne une Tamasha, un divertissement. L’officier chinois est en retard