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peuvent être vues du vulgaire. C’est un usage que les Hindous de caste dans toutes les Indes ont emprunté à leurs vainqueurs de l’Islam, de même que les Musulmans aux Indes ont emprunté beaucoup de préjugés aux Hindous. Le Rajah, le Gialpo, comme on l’appelle, est toujours le roi pour son peuple ; il passe pour érudit en littérature thibétaine ; c’est un ascète, me dit-on, mais il a quatre ou cinq femmes et paraît avoir nombreuse famille. Il a un type fin, l’air perdu dans le Nirvana et d’une caste vraiment supérieure qui contraste avec le physique vulgaire des lamas et du peuple. Les silhouettes sur les toits se détachent sur les parois cuivrées des rochers, se découpant eux-mêmes sur le ciel bleu éclatant. Nous examinons les femmes, dont quelques-unes sont vraiment très jolies, étant donné ce type que les poètes de Mongolie et d’Andijean chantaient en disant : « Elle est belle comme la lune. » Le costume des Ladaki convient à leur beauté : elles ne sont belles que de face, le profil aplati ne saurait nous plaire. Je remarque parmi la foule des femmes à tous crins et sans un seul bijou ; une énorme toison laineuse, graisseuse, et empâtée en mille cordes à peine tournées leur donne dans leur robe noire un air de bêtes sauvages. On me dit que ce sont les vierges du monastère, les servantes de la lamaserie. Perdues au milieu de tous, on en distingue d’autres en bonnets jaunes et en bonnets rouges, la tête rasée comme les lamas, ce qui n’ajoute pas à leur beauté : ce sont les nonnes bouddhistes. Elles sont 300 à Himis, et il y a 500 lamas divisés en « bonnets jaunes, » plus austères, et en « bonnets rouges, » plus nombreux.

Au centre de l’enceinte, une vingtaine de lamas dansent isolément en rond sous de hauts chapeaux pointus : leurs robes sont empruntées aux plus belles étoffes de la Chine et du Thibet ; de longs flots de légères écharpes pendent de leurs têtes et flottent au vent avec leurs longues manches. De monumentales images brodées suspendues aux murailles représentent des grands-lamas. Ce ne sont partout que banderoles, draperies jetées, des étoffes merveilleuses et variées, comme je n’en ai jamais vu ni imaginé en pareil nombre. Une musique sourde marque la mesure ; la danse se compose de pas en avant et d’un tour sur eux-mêmes, la jambe en l’air, les pieds emmaillotés dans de grosses bottes de feutre. Ils tiennent tous le tonnerre dans la main droite, le sceptre de la prière, de l’autre main la sonnette ou le double tambour en crânes de lamas ou encore de grands tambours plats et emmanchés