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à l’assimiler, à l’apaiser, ou seulement à le faire taire ? Faut-il voir là une manifestation de cette justice immanente des choses que rien ne parvient à étouffer ? L’unité du royaume uni est une fiction ; celle de l’empire britannique est beaucoup plus rapprochée d’être une vérité. Nous avons dit que nous n’établirions pas entre l’Angleterre et nous un parallèle qui ne pourrait être qu’un exercice de rhétorique : on nous permettra cependant de faire remarquer que, sur ce point du moins, nous avons été les plus favorisés. Nous n’avons pas une province réfractaire et irréductible, vouée par de longs abus de pouvoir à la guerre civile, ou à la guerre sociale passée à l’état chronique. La Vendée n’est plus, et depuis bien longtemps déjà, une exception sur notre territoire. C’est là un avantage dont nous ne sommes assurément pas les seuls à jouir en Europe ; mais il n’en est que plus curieux de constater que l’Angleterre n’en jouisse pas. Parmi les dons multiples qu’une fée bienveillante lui a prodigués, celui-là seul fait défaut. Cela prouve, encore une fois, que tout se paie, que tout s’expie, et nous ne mettons pas en doute que, s’il y a sur d’autres points de l’univers d’autres violations du droit éternel, de la justice, de la foi jurée, tôt ou tard, sous une forme imprévue, une revendication naîtra avec laquelle il faudra compter. Mais ce n’est pas le moment de se livrer à ces considérations qu’on pourrait trouver moroses, et par conséquent déplacées.

Le tableau que nous offre aujourd’hui l’Angleterre doit être jugé dans son ensemble, et jamais peuple n’a offert à lui-même et aux autres une plus éloquente leçon de choses. Les choses parlent même si haut que les hommes ont pu se taire. Ici encore, une différence entre les Anglais et nous mérite peut-être d’être relevée : nous laissons au goût du lecteur le soin de décider si c’est à leur avantage ou au nôtre. Nous ne pouvons nous livrer à la moindre réjouissance nationale qui sorte un peu de l’ordinaire sans faire de très longs discours. Les Anglais ont jugé que, dans la circonstance actuelle, les mots seraient inévitablement au-dessous des choses : ils se sont contentés de laisser les choses parler aux yeux. Le spectacle des rues de Londres le long du cortège de la Reine, et surtout celui de la revue maritime où les regards se perdaient à l’infini dans une forêt de mâts, n’avaient certainement besoin d’aucun commentaire. On peut presque dire qu’au milieu de ces fêtes, bruyantes et pleines de vie, pas un mot officiel n’a été prononcé. La Reine s’est contentée de remercier son peuple avec un laconisme qui aurait été trouvé en France un peu sec : peut-être, au surplus, aura-t-il produit la même impression sur l’empereur d’Alle-