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d’histoire de la langue et de la littérature dont ils sont mal pourvus. Mais justement, quelle occasion de les acquérir ! Il leur faudrait, dans le passé de notre poésie remonter plus haut que Verlaine, plus haut même que Baudelaire et Banville. Mais quoi ! Ils sont jeunes, puisqu’ils sont les jeunes. Ils ont du loisir, des ambitions, des prétentions. Et quelle occasion pour eux de repousser définitivement ce reproche d’ignorance qu’on leur adresse si souvent, et, semble-t-il, avec tant de raison, puisqu’il ne manque jamais de les mettre en colère !

Presque toutes les modifications apportées dans le vers au XVIe et surtout au XVIIe siècle ont eu pour objet de restreindre la liberté du poète. Le principe n’était pas si mauvais qu’on pourrait le croire ; car ce qui a nui aux poètes du moyen âge, ç’a été, entre autres causes, leur déplorable facilité à versifier. La médiocrité étant insupportable en poésie on fait œuvre pie quand on travaille à la décourager ; et enfin on n’a pas trouvé de meilleure formule du « grand art » que celle qui consiste à faire difficilement des vers faciles. Néanmoins, parmi ces règles il en est de tout arbitraires, celle par exemple qui proscrit radicalement l’hiatus. Prenez dans un traité quelconque le chapitre consacré à l’hiatus : c’est un tissu d’absurdités, de contradictions et d’illogismes. Notez qu’un poète français n’a pas le droit d’écrire : tu es. Les rencontres de voyelles qui sont le plus ordinaires dans le langage parlé et avec lesquelles l’oreille est familiarisée par un usage journalier lui sont interdites. Ceci est mieux. Deux voyelles dont la juxtaposition à l’intérieur d’un mot ne semblait pas rude et semblait même douce, deviennent subitement insupportables si l’une d’elles termine un mot et que la seconde en commence un autre. On dira bien dans un vers : il tua, on ne dira pas : tu as. On dira : une Iliade ; on ne dira pas : il y a. En revanche et si le poète ne peut dire, ni il a été, ni il y entre, on admet la voyelle placée devant l’h aspirée ou après la nasale. On tolère : le héros, la hauteur, elle hait, ce qui n’est guère séduisant. On accepte : Néron est, Orcan et, ce qui est proprement horrible. L’erreur ici est de n’avoir pas tenu compte de la différence des cas. Si dans la plupart des cas l’hiatus est pénible à notre oreille, il ne l’est pas toujours. Quelquefois même il peut, par sa rudesse, contribuer à l’effet cherché par le poète et devenir un élément de l’harmonie totale. Au lieu donc d’imposer une règle, il convenait de laisser à chacun le soin de décider suivant les circonstances et à ses risques et périls. Sur ce point, les poètes d’aujourd’hui sont assurés de trouver l’opinion préparée et de bénéficier d’une large complaisance. — C’est Ronsard qui a formulé. cette prohibition de l’hiatus à laquelle d’ailleurs il n’a eu garde de se