conformer toujours ; c’est lui aussi qui, suivant les leçons de Lemaire de Belges, a le premier érigé en règle l’alternance des rimes masculines et féminines. Les rimes féminines, en permettant au son de se prolonger et de se décomposer en demi-teintes sont un des plus précieux moyens d’harmonie du vers français. Mais d’où vient qu’on en exige dans le poème à rimes plates le retour régulier ? Et n’est-ce pas transformer en un instrument de monotonie ce qui devait être un moyen d’introduire la variété ? Fénelon, dans son réquisitoire contre le vers français, se plaignait déjà qu’un masculin fût toujours et uniformément suivi d’un féminin. Où serait ici encore l’inconvénient de laisser quelque chose à l’initiative du poète ?
Le XIXe siècle s’est efforcé de reconquérir les libertés que l’âge précédent avait interdites : il ne l’a pas fait toujours avec autant de discrétion et de tact qu’il eût fallu. Les romantiques ont déplacé la césure et multiplié les rejets : la conséquence logique a été que, la cadence devenant moins aisément perceptible à l’oreille, il a fallu renforcer la rime. L’emploi de la rime riche a suivi nécessairement l’adoption de la coupe ternaire du vers et de l’enjambement. De nos jours la rime riche a cessé de plaire et on n’en aperçoit plus que les inconvéniens : elle nuit à l’harmonie intérieure du vers par le coup de cloche de la fin, elle justifie le paradoxe de Banville qu’on n’entend dans un vers que la dernière syllabe et que le génie poétique se ramène donc à l’invention de la rime, elle appauvrit le vocabulaire, elle ramène trop souvent des mots prévus, les syllabes qui ont la consonne d’appui n’étant pas en nombre infini, enfin elle jette en plein lyrisme le calembour lui-même. Tous ces reproches sont fondés ; encore faut-il savoir par quoi on remplacera la rime chère aux romantiques « t aux parnassiens. Sera-ce par l’assonance ? On l’essaie depuis Verlaine. Mais cette tentative se condamne d’elle-même, attendu qu’elle va contre une des lois essentielles de l’histoire des langues. L’assonance a été chez nous longtemps en usage, jusqu’au jour où le retour de la même voyelle accentuée ne satisfaisant plus aux besoins de l’oreille, on y a substitué la rime. On ne revient pas à ces procédés rejetés par l’usage et qui n’ont plus de place que dans le musée des formes déchues. On ne rend pas la vie à un système aboli, pas plus qu’on ne ressuscite les mots tombés en désuétude et pas plus qu’on ne fait remonter la sève aux branches mortes. — Par haine encore contre la rime riche on tâche d’acclimater chez nous la rime fausse. On relève chez les maîtres des rimes qui, la prononciation ayant changé, sont devenues fausses : on en relève quelques-unes même chez Racine et chez Victor Hugo, qui dès leur