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paysanne et d’une société purement agricole va s’évanouissant au berceau même du romantisme slavophile ; voilà que Moscou, la vieille capitale aux quatre cents églises, s’est entourée d’une noire ceinture d’usines, et que cette Moscou nouvelle commence à éprouver l’insuffisance des recettes agraires pour les maux de nos modernes sociétés industrielles. Le développement même de la Russie et de la civilisation russe tourne contre les oracles et contre les prophéties des apologistes des primitives institutions slaves et des pieux panégyristes de la Russie ancienne. Loin de posséder, en ses communautés de village, un principe de rénovation pour le vieil Occident, le mir russe se montre, déjà, dans les usines moscovites, un préservatif inefficace contre les plaies sociales des sociétés contemporaines. Il y a un quart ou un tiers de siècle, à la veille ou au lendemain de l’émancipation des serfs, les pomechtchiks russes qui, de la véranda de leur maison seigneuriale, contemplaient, en curieux, les lointains éclairs des orages de l’Occident, aimaient à se persuader que, par sa structure intime, leur monde slave devait demeurer à l’abri des révolutions politiques ou des commotions sociales des peuples européens. Pour la plupart des Russes, l’agitation incessante de nos classes moyennes et les violentes convulsions de nos démocraties provenaient, presque uniquement, de notre état social. A les entendre, la propriété collective du mir était un antidote contre le poison du socialisme ou le venin de l’anarchie ; grâce au mir, la Russie était assurée de rester indemne de toutes les épidémies politiques et les fièvres révolutionnaires de l’Europe. Les dernières années de l’empereur Alexandre II, les mines des terroristes et les bombes des vierges du nihilisme n’ont que trop montré, aux plus patriotes, qu’il était imprudent de se fier à cette prétendue immunité de la terre russe. Après l’assassinat du libérateur des serfs, qui viendra soutenir que les troubles périodiques ou les révolutions de l’Occident ont pour unique cause notre mode de propriété ? Comment se persuader que, pour demeurer à l’abri de toute commotion, la Russie n’a qu’à ne point cesser de mettre la terre de ses steppes à la portée de tous ses moujiks ?

Aujourd’hui, grâce à Dieu, plus de bombes qui éclatent devant le traîneau du tsar, plus de lignes de chemin de fer minées sur le passage du train impérial ; les complots, encore fréquens durant les premières années d’Alexandre III, paraissent avoir entièrement pris fin sous Nicolas II. Les révolutionnaires sont découragés ; les