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de la plupart des ouvriers paysans des grandes fabriques. Ils connaissent la force de l’association et ils forment, entre eux, des artels temporaires qui, loin de leur izba et loin de leur village, leur tiennent lieu de famille et de commune. L’artel est leur refuge et leur appui, durant l’exil à la fabrique ; grâce à l’artel, ils se sentent moins isolés et moins dépaysés. L’artel, avec ses tendances communistes et ses pratiques solidaires, est la forme spontanée, la forme nationale de l’association. Il y a, du reste, des artels de toute sorte, pour tous les métiers et pour tous les besoins de la vie populaire. Elles n’ont souvent pas de caractère légal, elles ne possèdent pas toujours de statuts, elles reposent, le plus souvent, sur la coutume, sur une convention verbale et non sur un contrat écrit. Les artels de paysans ouvriers sont tantôt des associations ambulantes qui portent leurs bras d’une contrée à l’autre, effectuant, à prix convenu, des travaux agricoles ou des travaux industriels, tantôt des coopératives temporaires de production ou de consommation.

L’artel constitue comme une grande famille, ou comme une petite communauté, égalitaire et solidaire, qui transporte à l’usine les relations étroites et les mœurs patriarcales du village. On a parfois comparé ces artels à une sorte de familistère, servant de ménage à l’ouvrier[1]. Souvent la cuisine s’y fait en commun, à l’aide d’immenses marmites ; l’on mange à la même table, parfois à la même gamelle. Ces artels de paysans, tantôt formées spontanément, tantôt recrutées par un entrepreneur, se chargent de travaux de toute sorte, sous la direction d’un ancien, chef élu ou accepté qui perçoit et répartit les salaires. A côté des artels d’hommes, il y a des artels de femmes, voire même d’enfans. L’ouvrier russe a là, semble-t-il, le noyau de syndicats, de trade unions, capables de défendre ses intérêts professionnels. Il se peut, en effet, que de ces rustiques associations, il sorte, un jour, des trade unions ayant un caractère corporatif. Telle n’est pas, d’habitude, aujourd’hui, l’artel russe ; non seulement elle n’a rien encore des prétentions et des ambitions de nos syndicats, elle garde encore une âme primitive et comme enfantine ; mais elle diffère des syndicats ouvriers en ce qu’elle n’a pas toujours de caractère professionnel. Le plus souvent, elle réunit, temporairement, en une collectivité communiste où tout se consomme en commun,

  1. Ainsi Schulze Gævernitz : l’Industrie dans la Russie centrale.