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développé, durant les dernières années. Les deux sexes, que la vie de fabrique séparait, se trouvent ainsi enlevés à la fois aux champs et réunis tous deux autour de l’usine. L’homme et la femme y peuvent rentrer en ménage et reconstituer une famille, au lieu de se contenter de la cantine de l’artel et de sa vie de couvent. A l’ouvrier nomade, célibataire ou veuf temporaire d’une femme abandonnée au village, succède un ouvrier de métier, marié et vivant avec sa femme[1]. L’industrie et l’ouvrier y gagnent également. L’industrie acquiert des ouvriers stables et habiles ; l’ouvrier se dégage, peu à peu, de la communauté et de la promiscuité de l’artel.

Naguère encore, la plupart des moujiks de fabrique étaient obligés de se séparer de leurs enfans, de les faire élever au village auquel l’ouvrier paysan restait attaché par un double lien, pas ses redevances et par le registre des passeports. Quelques-unes de ces grandes fabriques de la région de Moscou, énormes ruches industrielles, qui autour de l’usine, renferment toutes les installations nécessaires à la vie de milliers de travailleurs, non contentes de loger l’ouvrier et sa femme, acceptent aussi les enfans, veillant à leur éducation et à leur instruction. Tels, par exemple, les célèbres établissemens Morozof. Pour les enfans en bas âge, les fabricans ont créé des crèches maternelles ; pour les autres, des écoles, bien supérieures, quant à l’aménagement et quant à l’enseignement, à la plupart des humbles écoles de villages. Quelques-unes de ces écoles de fabrique donnent à leurs élèves, ce qui fait trop souvent défaut à la Russie, un enseignement technique. Ainsi grandissent, autour des manufactures, de nouvelles générations d’ouvriers qui n’ont, avec la vie des champs et avec le mir, qu’un lien de droit que beaucoup d’entre eux seront portés à rompre comme une servitude. Déjà, les filateurs de Moscou

  1. Cela oblige parfois les industriels à changer l’aménagement de leurs habitations ouvrières, car, en Russie, les ouvriers sont, presque partout, encore logés par l’usine. Dans les immenses dortoirs à trois ou quatre étages de certaines grandes fabriques, les ouvriers, au lieu d’être tous entassés pêle-mêle, comme jadis, occupent, par couple marié, des couchettes à deux places, parfois séparées les unes des autres par des rideaux ou par des cages de lattes. Quelques industriels ont déjà renoncé aux dortoirs communs et leur ont substitué de vastes casernes divisées en grandes chambres où trois ou quatre couples ouvriers, avec leurs enfans, occupent chacun leur coin (klyn). On cite même des établissemens, tels que ceux de M. Malioutina où, dans ces casernes ouvrières, chaque famille possède sa chambre. Là même, la cuisine reste d’habitude commune. Plus tard, sans doute, viendront les habitations ouvrières à trois pièces avec jardin. (Voyez M. A. Delaire : Réforme sociale, t. 21, p. 184, 185 ; Cf. Schulze Gævernitz.)