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préfèrent ces enfans de l’usine ; ils apprécient leur supériorité technique ; ils ont constaté que, pour l’apprentissage, les ouvriers, fils d’ouvriers, l’emportaient sur les nouvelles recrues appelées de la campagne.

A Pétersbourg où les influences occidentales sont plus puissantes et où les réserves de travail paysan sont moins abondantes ou plus éloignées, l’évolution ouvrière, dans le sens européen, est plus avancée qu’à Moscou[1]. Il en est de même en Pologne ; comme l’ouvrier allemand, son voisin, l’ouvrier polonais de Varsovie ou de Lodz vit à la ville, en famille, avec sa femme et ses enfans. Le système du mir étant étranger à la gmina, la commune polonaise, l’ouvrier polonais, n’a plus, d’habitude, de liens qui le retiennent au village ; il s’attache à son métier, il y acquiert une habileté technique qui fait trop souvent défaut à l’ouvrier moscovite. C’est une des causes du succès de l’industrie polonaise dans sa lutte, sur les marchés de l’empire, avec l’industrie moscovite, quoique, en Pologne, les salaires soient plus élevés que dans la région de Moscou.

A Moscou même, il est au moins une industrie, celle de la métallurgie, celle de la construction des machines, dont les ouvriers sont, comme leurs confrères d’Occident, entièrement voués au travail industriel. Ce sont les plus habiles, les mieux payés, les mieux logés et, autant que le bonheur dépend des conditions matérielles, les plus heureux des ouvriers moscovites. Ici, ce que certains Russes appellent, à l’instar de nos socialistes, la « prolétarisation » des travailleurs de l’industrie, au lieu de tourner à l’abaissement et à l’appauvrissement de l’ouvrier, tend plutôt à son relèvement moral et matériel. Le niveau social et intellectuel de l’ouvrier russe semble se relever à mesure qu’il se spécialise, qu’il se « dépaysannise », qu’il s’individualise, en se dégageant des liens séculaires du mir et des étroites lisières de la communauté de village.

  1. Le recensement de 1897 donne à Saint-Pétersbourg, les faubourgs compris, 1 267 000 habitans. Sur ce chiffre, il y a, probablement, dans la capitale, deux ou trois cent mille paysans ; on ne sait encore le chiffre exact ; mais un bon nombre de ces krestianes (paysans), qui demeurent inscrits dans une commune rurale, sont, en fait, devenus des ouvriers urbains ; beaucoup, comme les ouvriers européens, habitent en ville ou dans les faubourgs, aux environs de l’usine.