M. English se plaint encore des typographes ; mais nous connaissons le truc. Toutes les fois que M. English s’aperçoit qu’il a mis un verbe au singulier avec un nom au pluriel, ou estropié un mot, nous sommes sûrs de voir apparaître des lamentations sur les fautes d’impression « absolument inconcevables » qui se sont glissées dans son dernier volume. Il est parfaitement dans son droit en ignorant l’orthographe, puisqu’il n’a pas été à l’école. Nous trouvons seulement fâcheux qu’il dirige une revue. Il n’y a pas de spectacle plus pitoyable que celui d’un homme n’ayant même pas l’instruction primaire, et qui se fait pourvoyeur de belles-lettres pour l’humanité. »
Il est vrai qu’il n’y aurait pas eu de revues en Amérique — toujours d’après Edgar Poe, — s’il avait fallu attendre de trouver des directeurs instruits. A défaut de science, accordons-leur une philosophie indulgente, puisqu’il s’en trouva un pour publier le conte impertinent que Poe a intitulé : la Vie littéraire de Bob Thingum, esq. C’est l’histoire d’un jeune Yankee très avisé, qui a résolu d’arriver à la gloire et à la fortune par la littérature. Il commence par acheter quelques vieux bouquins « complètement oubliés ou inconnus », qu’il traduit ou copie avec discernement. A l’un, il prend l’histoire « d’un certain Ugolin, qui avait une potée d’enfans » ; à l’autre, un long passage sur « la colère d’Achille » ; à un troisième, qui est aussi d’un bonhomme aveugle, des tirades sur « la Sainte-Lumière » et sur Adam, « premier-né du ciel. » Bob recopie proprement « ses poèmes » et les envoie aux quatre magazines les plus importans. Ils sont refusés, non pas qu’on ait reconnu les vers d’Homère ou de Milton, mais parce qu’ils sont traités de fatras. Instruit par l’expérience. Bob débute modestement par un distique sur un produit de parfumerie. Il apprend d’un éditeur influent l’art de la réclame, celui de tuer la concurrence en déshonorant les confrères, et de supprimer les frais de rédaction en se faisant payer par ses collaborateurs. La fortune lui sourit aussitôt. Il devient propriétaire de « trois périodiques », l’argent afflue dans sa caisse et les échos de la presse quotidienne retentissent de son nom : il est le grand Bob, le fameux Bob, « l’immortel Bob. »
Poe résumait dans les termes que voici — ou à peu près — le spectacle offert aux environs de 1840 par le monde des lettres américain : « En tant que nation littéraire, nous sommes un immense humbug ; il n’est pas un homme raisonnable qui n’en