soin que Quincey en mettait à s’analyser, à se noter et à se faire connaître au monde entier. Nous ne sommes même pas en mesure de nier ou d’affirmer que Poe ait aggravé son cas en prenant, lui aussi, de l’opium ; les témoignages sont aussi contradictoires qu’ils sont formels. Il faut se borner à dire qu’il avait le cœur gravement atteint et qu’il dépérissait rapidement. Par une anomalie dont il y a d’autres exemples[1], les facultés intellectuelles, tout intermittentes qu’elles fussent devenues, retrouvaient à certains momens une partie de leur ancien éclat. Plus que jamais, il y avait deux Edgar Poe, deux personnalités que le public ne parvenait pas à concilier, l’une touchante et poétique, l’autre absolument répugnante. Ceux qui ne connaissaient que la première gardaient un souvenir inoubliable de cette face pâle et farouche, d’une tristesse qui ne se peut dire, et de la grâce courtoise, des façons chevaleresques de ce mourant à la voix musicale. Les autres n’oubliaient point non plus, mais c’était avec horreur qu’ils se rappelaient le misérable dépeint avec tant de vigueur par Emile Hennequin, l’être dégradé qui « en vint… à avoir cette face de vieille femme hagarde et blanche que nous montre un dernier portrait, cette face creusée, tuméfiée, striée de toutes les rides de la douleur et de la raison chancelante, où sur des yeux caves, meurtris, tristes et lointains, trône, seul trait indéformé, le front magnifique, haut et dur, derrière lequel son âme s’éteignait. » Tel il apparut à mesure qu’approchait l’inévitable dénouement ; et c’est l’image qui a surnagé dans la mémoire de son peuple.
On est sans doute curieux de savoir ce qu’il écrivait aux heures de répit, et à quoi cela ressemblait dans le passé. En 1848 — nous négligeons ce qui n’a point de valeur, — parurent des vers intitulés les Cloches, qui sont un aimable tour de force d’harmonie imitative. L’année suivante, presque à la veille de la mort, autre pièce de vers, A Annie, où il se représente dans son tombeau :
« Grâce à Dieu ! — La crise — le danger est passé, et l’interminable maladie est finie, à la fin — et la fièvre nommée « Vivre » est vaincue, à la fin. »
« Je n’ai plus aucune force, je le sais bien, et je suis là, couché tout de mon long sans pouvoir remuer un muscle. — Mais qu’importe ! Je sens que je suis enfin mieux.
- ↑ Les Maladies de l’esprit, par le Dr Pichon, ch. II.