« Et je repose si tranquillement dans ma couche, à présent, qu’on pourrait croire en me regardant que je suis mort. — On pourrait tressaillir en me regardant, me croyant mort… »
Deux curieux fragmens en prose, le Domaine d’Arnheim et le Cottage Landor, terminent son œuvre. Poe y développe une esthétique du paysage qui est aujourd’hui bien démodée. D’après lui, un paysage naturel n’est jamais parfaitement beau ; il ne le devient que grâce à l’intervention et au travail de l’homme. Poe nous décrit deux paysages modèles, idéaux, et, pour les deux, l’effort de l’homme a tendu tout entier vers l’artificiel, ses mains ont effacé avec une sorte de rage les dernières traces de la glorieuse liberté de la Nature ; il en a aboli jusqu’au souvenir, autant qu’il dépendait de lui. Dans le Domaine d’Arnheim, des lieues entières de terrain sont propres et peignées comme l’unique plate-bande d’un amateur de tulipes : — « L’idée de la nature, dit-il, subsistait encore, mais altérée déjà et subissant dans son caractère une curieuse modification ; c’était une symétrie mystérieuse et solennelle, une uniformité émouvante, une correction magique dans ces ouvrages nouveaux. Pas une branche morte, pas une feuille desséchée ne se laissait apercevoir ; pas un caillou égaré, pas une motte de terre brune. L’eau cristalline glissait sur le granit lisse ou sur la mousse immaculée avec une acuité de ligne qui effarait l’œil et le ravissait en même temps. » L’ordre est encore plus parfait autour du Cottage Landor. La route est tapissée de gazon anglais, parfaitement uni et d’un vert éclatant : — « Pas un fragment de bois, pas un brin de branche morte. Les pierres qui autrefois obstruaient la voie avaient été soigneusement placées, non pas jetées, le long des deux côtés du chemin, de manière à en marquer le lit avec une sorte de précision négligée tout à fait pittoresque. » Cette route unique entre toutes les routes, où l’on ne trouverait même pas un « caillou égaré », mène à un jardin qui a des fleurs en pots et des trottoirs pour allées. Nous voilà loin du paysage à la Salvator Rosa de la Maison Usher.
Poe était déjà au fond de l’abîme lorsqu’il porta le Cottage Landor à une revue. En novembre 1848, il avait essayé de se suicider. — « Comment vous expliquer, écrivait-il à une amie après cette tentative, l’angoisse amère, amère, qui m’a torturé depuis que je vous ai quittée ? Vous avez vu, vous avez senti, l’agonie de désespoir avec laquelle je vous ai dit adieu. — vous vous