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pense pas que je puisse jamais les reproduire. Il me parla de ses visions, de la Sainte-Vierge, des promesses qui lui étaient faites. Quand je lui demandais : « Mais où allez-vous ? Quel est votre plan ? » il me disait : « Soyez tranquille. » Je n’obtins jamais d’autre réponse. » Voyant qu’il ne pouvait convaincre Berryer, le prince lui annonça qu’il aurait à s’expliquer avec le roi, qu’il recevrait le lendemain du premier gentilhomme de la Chambre une lettre d’audience. « Sa Majesté vous persuadera », dit-il. Berryer rentra chez lui en proie à un grand trouble. Résister aux ordres, aux prières du vieux roi, il sentait bien qu’il ne le pourrait pas : il s’attendrirait, il pleurerait, céderait, perdrait ainsi le moyen de servir avec efficacité. Fuir le péril pour n’y point succomber lui parut plus sage. Des procès l’appelaient bientôt en province ; dans la nuit il envoie chercher des chevaux de poste, et quitte Paris à six heures du matin, non toutefois sans avoir laissé une lettre qui avertissait le prince de son départ.

Cette scène se passait dans les premiers jours de juin. Six semaines plus tard Berryer, réélu au scrutin du 3 juillet, et rentrant à Augerville, lit dans le Moniteur, on devine avec quelle angoisse, les fatales ordonnances. Trois jours après, la Révolution de 1830 est consommée : il rentre à Paris, et, la mort dans l’âme, assiste à la séance du 7 août, monte à la tribune pour protester contre la nouvelle révolution de 1688 comme on l’appelle, mais prend part à la discussion d’où va sortir une nouvelle charte, car il ne se croyait pas le droit de s’abstenir, La France restait ; l’abstention était, à ses yeux, l’émigration à l’intérieur, et il voulait demeurer l’homme du pays avant d’être l’homme d’un parti. Ce motif le porta, lui et la majorité des députés royalistes, à subir le serment : le 11 août 1830 il le prêta en ces termes : « La force ne détruit pas le droit. La légitimité du pouvoir est un droit plus précieux pour les peuples que pour les races royales ; mais, quand la force domine dans un État, les particuliers ne peuvent que se soumettre, et les gens de bien doivent encore à la société le tribut de leurs efforts pour détourner de plus grands maux. Dans cette seule pensée, je crois de mon devoir de rester uni aux hommes honorables en qui je reconnais des intentions salutaires à mon pays, et je me soumets à prêter le serment qui est exigé de nous. Je le jure I » Prononcées par lui, lancées de cette voix merveilleuse qui les colorait aussitôt de tous les sentimens qu’elle devait traduire, ces paroles, qui semblaient résumer