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citoyen passionné seulement pour l’avenir de son pays. Un jour vint où Rouher prononça le mot fameux : « L’Italie ne s’emparera pas de Rome, jamais ! » Ce jour-là (5 décembre 1867), Thiers, et Berryer dictèrent en quelque sorte son langage au ministre d’État. Guéroult, directeur de l’Opinion Nationale, s’écriait dans les couloirs de la Chambre : « C’est Henri V qui mène le gouvernement ! »

Il conservait intacte sa foi politique, mais l’espérance ? Peut-être espérait-il encore avec son cœur, sinon avec son jugement. Quant à la foi religieuse, il l’eut toujours, mais le tourbillon du siècle, les séductions mondaines l’empêchèrent longtemps de pratiquer, et son ami le Père de Ravignan se lamentait de l’entendre ajourner sans cesse à l’année suivante ses projets de retour à la vie chrétienne. « Berryer, écrivait-il en 1837, où allons-nous ? Avec la terre, ses grands et ses petits intérêts, nous ne gagnerons pas le ciel. » L’heure de la contrition vint, et ce fut une joie profonde pour le religieux qui avait dit un jour, peut-être à son ami, ce mot piquant : « La plus grande force du diable, c’est d’être parvenu à se faire nier. »

Toujours clément à Berryer, le destin lui réservait une dernière chance, en lui épargnant la douleur de voir la guerre de 1870, l’invasion, le démembrement, d’assister à la déroute définitive de son idéal. Une grave maladie se déclara dès le mois d’octobre 1868 ; et Nélaton, Ricord, appelés en consultation, constatèrent l’existence d’une tumeur abdominale. Cependant il ne changeait pas son genre de vie, se traînait à table, faisait chaque jour sa promenade en voiture, et, comme les journaux républicains ouvraient une souscription pour élever un monument sur la tombe du député Baudin tué sur la barricade, le 2 décembre 1851, pour la défense de la Constitution, il écrivit au journal l’Electeur :


« Monsieur le rédacteur,

« Le 2 décembre 1851, j’ai provoqué et obtenu de l’Assemblée nationale, réunie dans la mairie du Xe arrondissement, un décret de déchéance et de mise hors la loi du président de la République, convoquant les citoyens à la résistance contre la violation des lois dont le président s’était rendu coupable. Ce décret a été rendu public dans Paris autant qu’il a été possible. Mon collègue, M. Baudin, a énergiquement obéi aux ordres de l’Assemblée ; il en a été victime, et je me sens obligé de prendre part à la souscription