Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/650

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
644
REVUE DES DEUX MONDES.

Sur ces entrefaites, Palfrêne, comme par un fait exprès, hérita d’une assez grosse somme. Il quitta sa ferme, acheta la plus belle maison du bourg, s’y installa luxueusement, donna des dîners. Il cherchait à se rendre populaire. L’année suivante, il fut nommé délégué cantonal, puis conseiller d’arrondissement. La commune de Ricarville n’avait pas de pompes, il lui en donna ; grâce à ses libéralités, le doyen de Mareville put acheter des orgues à son église, et dès lors tout le clergé de prôner Palfrène, « cet enfant du pays, cet homme expérimenté, etc. » Bientôt on cita de lui des cures tout à fait remarquables.

— Bah ! ricanait Valadier, il n’aura jamais pour lui que les imbéciles.

Sans doute, les imbéciles étaient nombreux dans le canton, car, moins de deux ans après, Valadier n’avait plus que de petits cliens, ceux que son confrère ne tenait pas à lui enlever.


C’est à tout cela que songeait, ce soir-là, le pauvre garçon, repassant amèrement l’histoire de ses malheurs sans arriver à se les expliquer complètement. Car enfin une maladresse ne devrait pas suffire à faire sombrer un homme qui connaît son métier et n’épargne pas sa peine.

Cette ruine qui menaçait, comment la conjurer ?

Une minute il pensa obtenir de sa sœur un prêt sur leur maison de Rethel, puisque après tout, sa part à lui valait plus que les cinq mille francs dont il l’avait hypothéquée. Seulement il dut s’avouer que la malheureuse femme trouverait bien difficilement à emprunter. Aliéner la maison ? Mais Rethel est un pays pauvre. Trouverait-on seulement, en vendant, de quoi couvrir l’hypothèque ?

« Non, se dit Valadier, qui se passait anxieusement la main sur le front, advienne que pourra, mais je ne ferai aucun mal aux miens, — d’autant plus que ça ne servirait à rien, — et si je tombe, du moins je tomberai seul. »

Tomber ! Hélas ! oui… à moins d’un ces reviremens soudains, d’un de ces coups de chance comme on n’en voit que dans les romans ; quelque cousin, si éloigné qu’on ignore son existence, meurt et vous lègue sa fortune. « Par malheur, se dit-il, je n’ai point de cousins et aucune mort ne peut me profiter, aucune. » Mais se reprenant : » Sauf une, » dit-il sourdement, songeant à Palfrène.