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LES ANNÉES DE RETRAITE DU PRINCE DE BISMARCK.

sympathie et d’attention que s’il s’était agi de notre propre armée, et que notre joie fut vive lorsque, après vos échecs devant Plewna, nous vous vîmes franchir si rapidement le Balkan. C’est surtout à propos du congrès de Berlin que vous vous plaignez de moi ; mais n’oubliez pas qu’il fut assemblé à l’instigation de la diplomatie russe. »

Assertion audacieuse, qu’il démentira dans une autre occasion ! « Au printemps de 1878, continue-t-il, j’étais malade, je souffrais d’une affection herpétique, quand le comte Schouwalof vint me prier, au nom de l’empereur Alexandre II, de convoquer ce congrès. Pouvais-je m’y refuser ? Nous nous partageâmes la besogne, Schouwalof et moi. Il entreprit d’obtenir la participation de l’Angleterre, je me chargeai de l’Autriche. Du commencement à la fin, je fus véritablement au service de la Russie, je me prêtai à tous les désirs des plénipotentiaires russes, je les soutins dans toutes leurs prétentions ; est-ce ma faute, si elles ne répondaient pas aux circonstances ? J’attachais alors tant de prix à l’amitié russe que je supportai sans murmurer les hauteurs de Gortschakof. À la vérité, on me traitait parfois comme un domestique qui ne monte pas assez vite, lorsqu’on l’a sonné. » On ne s’était pas douté jusque-là qu’il eût les reins si souples, l’échine si flexible et tant d’empressement à servir ses amis.

Bientôt après, l’Allgemeine Zeitung publiait un remarquable article sur une brochure qui venait de paraître à Leipzig, sous ce titre : « Comment le duc de Lauenbourg, prince de Bismarck, a été le promoteur de l’amitié franco-russe. » Parmi les nombreuses pièces de ce genre, recueillies par M. Penzler, et dont il nous garantit l’authenticité, il en est peu qui témoignent aussi clairement de leur origine. Idées, style, raisonnemens, logique serrée sous laquelle on sent une passion fiévreuse, mais contenue, qui gronde sourdement, tout porte la marque du lion. M. de Bismarck ne cause plus cette fois avec des interviewers, il s’adresse à des juges plus compétens, auxquels il désespère de faire croire qu’en 1878 il n’a songé qu’à se rendre agréable à la Russie et qu’à peine l’avait-elle sonné, il accourait, en disant : Me voilà, vous n’avez qu’à commander.

Il était dit dans cet article que la convocation du congrès avait été réclamée par l’Angleterre et par l’Autriche au vif déplaisir de la Russie, qui dut avaler ce calice, qu’elle était sortie de sa guerre contre l’empire ottoman avec une armée en mauvais point, avec des finances délabrées et dans un état de profond isolement, qu’en pareil cas une puissance même victorieuse doit se résigner à subir l’intervention de l’Europe, que tout le monde jugeait inadmissibles les stipulations du traité de San--