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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/698

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REVUE DES DEUX MONDES.

Stefano, que qui demande trop n’a rien, que si le cabinet de Berlin avait appuyé les prétentions russes, il se serait mis toute l’Europe à dos, que le seul rôle qui pût lui convenir était celui d’un honnête courtier, que M. de Bismarck, en cette circonstance comme en toute autre, a pris pour unique règle de sa conduite l’intérêt allemand, que sans doute il avait eu précédemment de grandes obligations à la Russie dans ses querelles avec l’Autriche et avec la France, mais que la reconnaissance n’est pas une idée politique, que si les hommes d’État de Saint-Pétersbourg attendaient de sa gratitude des complaisances qu’il ne pouvait avoir, ils ont fait un faux calcul et n’ont pu s’en prendre qu’à eux-mêmes de leur cruelle déception. Il avait dit autre chose aux deux rédacteurs de la Nowoje Wremja, mais les contradictions de son langage ne troublent point M. Penzler ; les vrais dévots ne discutent jamais leur dieu. Quelqu’un demanda un jour comment il se faisait que les conciles, qui sont infaillibles, eussent si souvent varié dans leurs décisions ; un vrai dévot répondit : « C’est pour exercer notre foi ; ils ont tous eu raison chacun dans leur temps. » Que M. de Bismarck dise blanc ou noir, ses panégyristes estiment qu’il a toujours raison et ne lui reprochent jamais de trop exercer leur foi.

Un autre thème revient souvent dans les entretiens rapportés par M. Penzler ; c’est la question sociale, et il faut rendre au prince de Bismarck la justice que sur ce point son langage ne varie pas ; mais les opinions qu’il professe aujourd’hui s’accordent mal avec certains actes que lui ont reprochés les conservateurs, et qu’il regrette peut-être. Il déclare que l’ouvrier électeur est une puissance redoutable, avec laquelle doivent compter les gouvernemens les plus forts ; n’est-ce pas lui qui a donné à l’Allemagne le suffrage universel ? Il déclare aussi qu’en substituant à la politique répressive les mesures de conciliation, son jeune maître a cédé aux entraînemens d’une âme généreuse et candide, que l’expérience n’avait pas instruite, que se flatter de soustraire le peuple aux propagandes dangereuses et à l’empire des prêcheurs d’utopies en s’étudiant à améliorer son sort, est une vaine imagination, une pure chimère. On pourrait lui représenter que jadis il a lui-même caressé ce rêve, que lorsqu’il s’occupa d’assurer l’ouvrier contre les accidens, les infirmités et les risques de la vieillesse, il crut faire pièce au socialisme. Il prétend que ce n’est pas la même chose, il se tire d’affaire par des distinctions subtiles ; il serait plus simple d’avouer qu’il a fait autrefois un essai qui ne lui a pas réussi.

Ses théories sur la démocratie sociale peuvent se résumer en quelques