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REVUE DRAMATIQUE.

d’envie de les avoir. » Et elle ajoute : « Eh bien, non ! je ne veux pas ! je ne veux pas ! Mais, par exemple, je serais bien embarrassée de dire pourquoi. » Et l’on sent que l’auteur aussi en serait bien embarrassé.

Son idéal, c’est la femme de luxe, la petite courtisane gentille et aimante, ou la femme du monde un tout petit peu courtisane ; c’est l’amour sensuel dans un décor d’élégance, avec de l’esprit, et, parfois l’attendrissement d’un sentimentalité légère. Ce gros homme court à moustaches de Tartare, s’étant délivré du souci des questions essentielles, — et insolubles, — ou peut-être n’en ayant jamais été tourmenté, avait besoin, pour vivre, pour respirer, de formes féminines autour de lui, dans des lieux artificiels ; il en jouissait surtout par les yeux et par l’imagination : se divertissait du jeu naïvement rusé des petites âmes que ces formes recouvraient, et de la crédulité heureuse de ceux qui se prenaient à ce jeu ; s’amusait peut-être à s’y prendre lui-même à demi, afin de recueillir sur son propre cas des notes plus véridiques et plus fines : contemplateur de futilités et de fugitivités jolies qu’il jugeait et qu’il aimait, Çakya Mouni de boulevard, au nirvâna égayé par des gestes d’Apsaras parisiennes. Et son théâtre paraît philosophique, — et l’est sans doute, — parce que le sourire de l’Ecclésiaste, qui est simple et à la portée de tout le monde, mais où tout de même « il y a la manière », passera longtemps encore pour le dernier mot de la sagesse…

Pour dire les choses plus modestement, Meilhac est bien, et plus encore qu’on ne le croit, le « poète » par qui la tradition du XVIIIe siècle s’est prolongée et renouvelée dans la nôtre. Il est, avec beaucoup plus de génie créateur, de la lignée des Chaulieu, des Crébillon fils, des Parny… (Un exemple me revient, entre vingt autres : le dénouement de Margot, le mariage de Margot avec le garde-chasse, n’est-il pas précisément selon la « philosophie » du XVIIIe siècle ?)

Ultime fleur de civilisation voluptueuse, ce théâtre sensuel et sceptique se rachète par la douceur et se relève par la bonté. Il ne faut pas trop faire fi de ce qu’il y a d’indulgence et de réelle bonhomie dans ce que j’appellerai, parce que cela m’est commode, l’esprit de Paris. Ce qui le distingue et le définit quand on veut absolument le juger avec bienveillance, c’est peut-être qu’il offre le maximum de bonté compatible avec la recherche du plaisir ; c’est une atténuation de l’égoïsme par le goût de plaire, le don de mêler de l’attendrissement ou de l’ironie à ce qui serait, autrement, le libertinage tout cru ; un refus d’être tragique, c’est-à-dire ridicule ou méchant, soit dans la volupté, soit dans la douleur ; l’aboutissement du scepticisme à un