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détachement qui, bien que superficiel, se rencontre souvent avec la sagesse la plus profonde, et à une douceur qui, bien qu’inactive, équivaut, dans plus d’un cas, à la charité…

Tel est l’esprit de Paris dans le théâtre de Meilhac ; et j’avoue que cet esprit peut être assez mince, niais et déplaisant ailleurs. Si vous voulez connaître cette âme de douceur qui est répandue dans tout son répertoire, comparez, s’il vous plaît. Monsieur de Pourceaugnac et la Vie Parisienne. Les sujets sont analogues ; c’est, ici et là, un grotesque que l’on joue : mais, tandis que Molière berne son Limousin avec une effroyable férocité, Meilhac mystifie son baron scandinave avec une si caressante gentillesse que, lorsqu’on lui demande à la fin : « De quoi vous plaignez-vous ? Ne vous êtes-vous pas amusé ? » Gondremark est contraint de répondre : « C’est vrai, au fait ; de quoi est-ce que je me plains ? » Il est lui-même bon comme le pain, ce gros bébé mûr de Gondremark. La Rochebardière est bon. Biscara est bon. Marignan, de la Cigale, est très bon. Et Boisgommeux, de la Petite Marquise, est très bon aussi, ou le devient : « Vous m’avez offert votre vie entière, et je n’en ai pas voulu, parce que cela changeait mon point de vue ; mais à présent je la veux. Je sais bien que c’est une bêtise ; mais cette bêtise, je la ferai. » Et Édouard Dandrésy (Décoré) est meilleur encore. Il fait la cour à la femme de son ami intime, mais cela ne l’empêche point d’avoir l’âme généreuse d’un terre-neuve. Il arrive trempé au rendez-vous, parce qu’il vient de sauver un pêcheur qui se noyait. C’est que, explique-t-il à Henriette, s’il n’avait pas opéré ce sauvetage, « il ne se serait pas cru digne de la posséder » ! Et le petit Alfred des Esquimaux (Gotte) est d’une bonté exquise. Marceline Lahirel lui a dit qu’elle serait à lui quand il lui aurait donné une preuve d’amour à laquelle elle ne pourrait pas résister. Exaspérée par son mari bien plutôt qu’amoureuse d’Alfred, elle se décide à ne plus attendre la « preuve d’amour » qu’elle exigeait d’abord : mais, par un revirement imprévu et pourtant naturel, le brave garçon, pris de pitié pour la pauvre petite femme, lui remontre quelle sottise elle va faire et lui conseille de rester fidèle à son imbécile de mari : « Vous m’avez demandé une grande preuve d’amour, dit-il ; voilà ce que j’ai trouvé de mieux. » Bref, tous les hommes de Meilhac, ou à peu près, sont bons ; et aucune de ses femmes n’est méchante, ses petites cocottes n’ayant, tout au plus, qu’une malignité de jeunes guenons. Dans Froufrou même, la plus sérieuse et la plus humaine de ses pièces, personne n’est méchant. Sartorys n’a que le tort d’épouser Froufou et de l’aimer trop ; froufrou a un fond de loyauté et de courage ; Louise est la perfection même ;