Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/708

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
702
REVUE DES DEUX MONDES.

jours d’Indiana et de Valentine. Ainsi tout recommence. Mais les femmes-victimes de 1830 avaient quelque grâce. Du moins on se le figure à distance, et d’autant mieux qu’on y va rarement voir. Elles étaient lyriques ; elles divaguaient ingénument ; elles rêvaient des amours surhumaines. Les Valentine et les Indiana d’aujourd’hui sont de dures et sèches lutteuses. On dirait que, renchérissant sur les Amazones, elles se sont coupé les deux seins.

Je n’aime pas ce genre de pièces parce que je n’aime pas les pièces à thèse. Une pièce à thèse est un leurre. L’auteur a la prétention de prouver pour tous les cas, et ne prouve tout au plus que pour le cas particulier qu’il a pu choisir et conditionner à sa guise. — Toutefois ce cas particulier, bien défini, peut avoir son intérêt. Le dialecticien des Tenailles et de la Loi de l’Homme nous présentait deux femmes réellement opprimées par tel et tel article du code. La démonstration était serrée, avait un air de force. M. Jules Case, moins précis, se contente d’affirmer par son titre que la femme est la « vassale » de l’homme : qualification métaphorique et vague, si vague qu’une épouse chrétienne ou simplement de bon sens pourrait à la rigueur la prendre en bonne part, — et qui n’est, d’ailleurs, nullement éclaircie par la pièce elle-même.

Or, rien de plus fâcheux qu’une pièce à thèse dont la thèse reste obscure. C’est un moulin à vent qui tourne à vide et dont les grands gestes offusquent par une emphase inactive. On s’aperçoit que, au bout du compte, la « vassale » de M. Jules Case n’est que la « femme incomprise » et que le sujet n’est donc qu’un malentendu conjugal. Soit ; c’est une aventure qui peut toujours être contée. Seulement, la femme incomprise ne peut être intéressante que si, incomprise de son mari, elle est comprise du public : et j’ai peur que Louise Deschamps ne demeure incomprise de l’un et de l’autre.

Voici les faits. Henri Deschamps était riche ; Louise était pauvre ; ils s’aimaient ; ils se sont épousés, il y a de cela quatre ans, et ils ont eu une petite fille. Ils devraient être heureux, et ils sont très malheureux. Pourquoi ? Ils le disent tour à tour à un confident, le bon Chabonas, un ami à tous deux. Henri reproche à sa femme d’être de glace dans ses bras, de ne pas s’occuper de sa maison, d’être bizarre, pointilleuse, pédante, toujours sur la défensive, et impudemment coquette avec les autres hommes. Louise reproche à son mari d’être impérieux, brutal, de se moquer de ses idées, de ne pas vouloir la comprendre. Et c’est le premier acte.

L’auteur introduit alors les deux principaux aspirans aux faveurs