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L’histoire, en 1789, fut semblable à ce conte oriental où un mot magique ouvre tous les passages, lève tous les obstacles, livre tous les trésors : un mot aussi parut contenir la loi de la vie privée, le gouvernement de la vie publique, le secret du bonheur. La France dressa, comme à un dieu trop longtemps méconnu, enfin découvert et à jamais vainqueur, des autels à la liberté. En vain sur ces autels aussitôt profanés coulèrent le sang et tous les droits des hommes : ni les deuils ni les excès ne purent rendre odieuse au peuple l’espérance, à laquelle il avait donné un nom. Loin d’être atteinte par les forfaits commis en ce nom, la liberté plana sur eux comme une formule absolutoire, et de même que les criminels avaient autrefois dans les temples droit d’asile, protégés par le Dieu dont ils embrassaient la statue, il a suffi aux plus scélérats d’invoquer la divinité nouvelle pour désarmer la justice de la France. D’ordinaire l’ardeur d’une passion en consume la durée : celle-ci a usé sans s’amoindrir plusieurs générations d’hommes. Non pas qu’elles aient persévéré sans lassitude à apprendre et à mériter la liberté : elles n’ont su ni s’en servir, ni la garder longtemps ; mais ces défaillances mêmes ont montré le caractère étrange, mystique, profond de cet amour. Les infidélités d’un croyant aux pratiques de sa religion lui paraissent témoigner contre lui et non contre elle, et il garde à travers les écarts de sa conduite la plénitude de sa foi. Ainsi le peuple français n’a pas donné à la liberté son effort, mais il lui a donné tous ses rêves ; il a tenu moins à la posséder qu’à l’espérer ; même quand elle était pour lui le danger et l’effroi du présent, pour lui elle demeurait la maîtresse de l’avenir ; même quand il la laissait détruire il ne souffrait pas qu’on la reniât. Certes, depuis 1789, parmi les chefs qui ont tenté d’établir un gouvernement, plusieurs poussaient jusqu’à la plénitude le dédain pour la volonté publique : pas un d’eux n’a osé contredire en face à cette passion de la France. Bonaparte lui-même, bien que son avènement fût celui du despotisme, l’inaugura par un hommage aux principes de 1789. Elle-même, la Restauration, ce reflux du temps qui semblait revenir de si loin pour effacer de sa grande vague les mots orgueilleux tracés sur le sable du rivage, ne les a atteints que pour les caresser. Tous ceux qui voulaient servir ou asservir la France ont juré d’abord la liberté.

Une seule puissance s’est refusée à ce culte, c’est l’Église. Elle l’a cité devant elle, a surpris une erreur, et s’est souvenue qu’elle