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LES LUTTES ENTRE L’ÉGLISE ET L’ÉTAT.

qu’ils étaient incapables de conduire. Depuis que les peuples ont, par la révolution française, manifesté leur volonté de gouverner eux-mêmes ces intérêts, l’Église ne prétend pas retenir la portion d’autorité par laquelle elle avait ainsi exercé non ses droits, mais les leurs. Les nations croient n’avoir plus besoin de la sagesse humaine qu’elle avait mise à leur service comme une extension de son ministère religieux : elle s’est aussitôt restreinte à ce ministère religieux, sa charge essentielle. Ne tenant plus aux affaires publiques, sinon par la défense de la foi, elle veut seulement, mais elle veut toujours rappeler aux peuples devenus souverains les limites de leur souveraineté et présenter à leur obéissance les lois, seules intangibles, qui sont la part de Dieu dans les affaires humaines. Les philosophes de 1789, au contraire, considérant que les croyances religieuses n’offrent point de certitude démontrable, n’ont rien voulu fonder sur elles, ni mettre la contrainte des lois au service de pures hypothèses. Selon eux la raison humaine tire d’elle-même en toute souveraineté tout l’ordre du monde. Ils ont refusé, par suite, de reconnaître à l’Église le rôle public qu’elle réclame comme la gardienne de vérités nécessaires.


V

Leur raison avait-elle si raison ? Que vaut l’argument unique par lequel ils croyaient avoir écarté les ambitions de l’Église ? Sans doute, l’intervention divine dans le gouvernement du monde est une hypothèse. Mais la clairvoyance de la raison humaine est-elle autre chose qu’une hypothèse ? Admettre que cette volonté échappe à l’ignorance, à l’égoïsme, à toutes les obscurités de la passion, et que l’homme se décide, soustrait à toutes les conditions humaines, est-ce autre chose qu’une hypothèse ? La liberté n’est-elle pas le mystère des mystères ? Des lois ignorées de gravitation ne gouvernent-elles pas nos intelligences, même quand elles semblent, comme les étoiles du ciel, brillantes de leur propre lumière et maîtresses de leurs voies dans l’immensité ? Qui sait dans quelle mesure les traditions et l’ambiance changent, comme disaient fortement nos pères, en un serf-arbitre ce que nous appelons notre libre arbitre ? Si l’Église n’apporte pas la preuve authentique de sa mission, quel notaire a rédigé le contrat social et quels témoins y ont signé ? Hypothèse pour hypothèse.