entre celle de la sagesse divine et celle de la sagesse humaine, la plus hardie est-elle celle de l’Église ?
Si la foi à la souveraineté de l’intelligence humaine et la foi à l’existence d’un législateur surhumain ne peuvent ni l’une ni l’autre s’imposer par l’éclat de l’évidence à la conviction universelle, il n’y a de juge entre elles que les résultats.
Or la philosophie de 1789, loin qu’elle ait fondé, comme elle le croyait, le gouvernement des hommes sur les certitudes de la raison, a fondé sur l’incertitude du sens individuel l’avenir de la société. Sur l’origine et sur la destinée de l’espèce humaine, c’est-à-dire sur les questions qu’il faut avoir résolues pour donner une base aux droits et aux devoirs, elle ne se prononce pas. Elle laisse chaque conscience chercher le mot de la grande énigme. Mais que les intelligences l’aient ou non trouvé, la vie n’attend pas, et il leur faut régler en tous ses détails un ordre social dont elles ignorent les principes. La première condition de cet ordre est qu’il concilie l’indépendance de l’homme avec la force de la famille et de la nation. Quelle garantie offre pour une telle œuvre la raison solitaire d’un homme ? Passager de l’existence, il n’a, pour statuer sur les institutions permanentes, ni passé ni avenir dans l’esprit, le sens des choses durables lui manque, il compare tout à la mesure de sa brièveté. Juge et partie dans les conflits entre l’intérêt général et son intérêt propre, il a bien des chances de sacrifier par un égoïsme inconscient et implacable les intérêts généraux à l’intérêt individuel.
Incertaine et égoïste, la raison humaine est un devenir perpétuel, et se modifie sans cesse par son propre effort. Quand rien n’est soustrait à son pouvoir, rien n’est défendu contre l’inconstance. L’on a vu en effet depuis 1789 une mobilité inconnue ébranler tout, et la liberté, le dogme immuable, subir les métamorphoses les plus nombreuses et les plus longues éclipses. L’étendue même des droits réclamés pour elle devient la cause de ces réactions. Elle épouvante parfois ceux qui l’appelaient : alors ils usent de leur liberté pour supprimer la liberté elle-même, et, quand les périls se sont éteints dans le silence, la regrettent. Ces contradictions éclatantes, à des intervalles si courts, font les gouvernemens aussi viagers que les hommes. Et tandis qu’autrefois ces gouvernemens, arbres séculaires, étendaient leurs rameaux sur une suite de générations, maintenant, mis en coupe réglée par chacune, et devenus l’approvisionnement d’une saison, ils sont