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aussi bien pu s’achever autrement ; c’est une partie essentielle du poème musical, et c’est comme telle que nous devons l’entendre. »

Mais la plus belle de toutes les codas, la plus hautement significative et symbolique est celle du dernier morceau de l’Héroïque. Elle ne consiste pas dans les dernières mesures presto, mais dans le poco andante qui précède. Je ne connais pas dans les symphonies de Beethoven un autre exemple de coda lente. Et ce ralentissement ne fait que redoubler, à la fin de la symphonie, l’impression de la grandeur et de la force. On n’a pas toujours aperçu le rapport de ce finale avec le reste de l’œuvre, avec la première partie et la marche funèbre. On n’a pas assez compris que la symphonie trouve là son couronnement nécessaire, l’idée sa consommation et le héros son apothéose. Après l’allegro du finale, un peu sec et de nerveuse allure, qu’il est beau l’andante élargi et débordant ! Comme il élève toujours plus haut, sur les houles toujours plus fortes des triolets et des syncopes, le thème qui monte vainqueur ! Il monte lentement, délivré non seulement de la fièvre et du trouble, mais de la hâte même de vivre. Il vit maintenant de la vie supérieure, de la vie totale, patiente parce qu’elle est éternelle. Tout est oublié, tout a disparu : les efforts, les combats du premier morceau ; le deuil, les regrets et les pleurs de la marche funèbre. La mort même est vaincue, et le thème entre à jamais dans la plénitude et l’immutabilité de son être. C’est pourquoi cette coda lente est si belle, et belle comme ne l’est pas une autre. Plus que pas une autre elle est une fin, la fin dernière, diraient les théologiens, de cette créature sonore qu’est la symphonie, et que Beethoven a faite la sœur des créatures que nous sommes, arrivant comme nous par une vie éphémère et variable à la vie qui ne change et ne passe pas.


II

Voilà l’être que par Beethoven est devenue la symphonie. Regardons maintenant l’homme à travers son œuvre, et quel apparaît, dans les neuf symphonies, l’être que fut Beethoven lui-même. Toutes témoignent de son âme, mais toutes ne racontent pas sa vie. Il en est une au moins, étrangère, contraire même aux circonstances dans lesquelles elle fut composée, et Beethoven, si grand ailleurs pour avoir dit sa peine, est grand ici pour l’avoir