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mondaines. Indomptable et farouche, il serait mort plutôt que de dépendre et de servir. Il ne vécut point aux gages d’un maître ; il ne fut pas le musicien d’un salon, d’une cour ou d’une chapelle, mais son propre musicien, le musicien de sa vie, de son âme à lui, et la liberté de sa condition égala, assura peut-être la liberté de son génie.

Il est deux aspects ou deux modes généraux de la vie et de l’être, qui sont aussi les deux modes et comme les deux pôles de la musique. L’un est la contemplation, l’autre l’action. De ces deux états, avec tous les degrés, toutes les variétés et les nuances qu’ils comportent, il n’existe pas de plus puissante représentation musicale que la symphonie de Beethoven. Vraiment les adagios de Beethoven contemplent, et ses allégros agissent. Sans doute, la contemplation d’un Beethoven diffère de celle d’un Palestrina. Aussi sereine parfois, elle est souvent moins divine. Elle peut être religieuse pourtant, car c’est bien du ciel que tombe à certain moment sur le funèbre cortège de l’Héroïque, sur le second morceau de la symphonie en la, je ne sais quel rayon de consolation et d’espérance. Et puis, et surtout la contemplation de Beethoven ne ressemble pas à la langueur et à l’extase, à la tendre et pieuse rêverie. Mais comme elle est profonde et pour ainsi dire intense ! Jamais jusqu’aux adagios du maître, la musique n’était descendue, n’avait creusé aussi avant dans la pensée humaine. Rappelez-vous un de ces mouvemens lents, quel qu’il soit : marche funèbre de l’Héroïque, andante de la quatrième symphonie ou de la Pastorale, adagio de la symphonie avec chœurs. De telles mélodies ont porté la lumière ou l’ombre, la joie ou la douleur, en des régions où les sons n’avaient pas encore pénétré. Elles nous ont découvert à nous-mêmes des horizons ou des abîmes nouveaux ; en chacun de nous elles ont prodigieusement élargi les cercles du Paradis et de l’Enfer, ceux de la béatitude infinie et de l’infinie tristesse.

Rappelez-vous au contraire l’un des mouvemens vifs — premier morceau, scherzo, finale — d’une symphonie. Souvenez-vous de certains débuts, de tel ou tel développement, des secondes reprises ou des codas, ne fût-ce que d’un passage comme celui qui relie le scherzo et le finale de la symphonie en ut mineur. Songez à tous les combats de Beethoven et à toutes ses victoires ; à tout ce qu’il y a dans ses neuf chefs-d’œuvre, non plus de contemplatif et de profond, mais d’allant et de vif ; à tout ce qui se meut ou