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II

En Suisse, le Directoire perd, par la façon dont il mène la révolution et la conquête, jusqu’aux avantages de la neutralité. Il révolutionne pour s’assurer les passages. La France avait là, sur ses frontières, une barricade énorme de montagnes gardée par une nation amie. Cette nation devient hostile : il faut l’assujettir ; il faut désormais garder, contre elle, ces fameux passages, et, la guerre recommençant, si la France faiblit, les passages ; s’ouvriront d’eux-mêmes aux ennemis de la France. Ce sera une route de plus à l’invasion. La « République helvétique une et indivisible », à peine proclamée par le général Brune, se divise. Dix cantons sur dix-huit la reconnaissent, et, dans ces dix, il y a des « factions fédéralistes », c’est-à-dire un parti national, attaché aux vieilles traditions d’indépendance. Les démocrates des pays où l’ancien gouvernement était aristocratique, comme Berne, sont seuls ardens à la révolution, parce qu’elle leur donne le gouvernement. Mais, dans ces cantons mêmes, l’aristocratie demeure nombreuse, riche, influente ; ailleurs ce sont les catholiques ; enfin, dans les montagnes, dans les cantons démocratiques, les paysans jaloux de leur liberté, de leur travail, ne gagnant rien à la révolution, y perdant la sécurité, la dignité, subissent avec colère le fisc et les réquisitions des étrangers. Le Valais résiste : on le contraint. Ceux de Schwytz se rassemblent au nombre de 10 000, conduits par des moines, le sabre au côté. Le général français, Schauenbourg, a 25 000 hommes. Les Suisses combattent avec une énergie sauvage et, le 2 mai, à Morgarten, ils repoussent les Français. On ne les pacifie qu’en leur garantissant le culte catholique et en renonçant à les occuper militairement. Dans les cantons où la paix s’est maintenue, les extorsions des commissaires la rendent odieuses.

L’un de ces commissaires, Rapinat, beau-frère de Rewbell, passe à la postérité par l’affreux jeu de mots de son nom et de son industrie. C’est un exacteur furieux : il ferme les clubs, emprisonne les journalistes, épure le Directoire helvétique, menace de traiter la république en pays conquis. En huit mois, on en a tiré près de 22 millions, dont 1 million et demi de recettes extraordinaires : pièces prises dans les arsenaux, matières d’or et d’argent, objets d’art. Le bruit court que Rapinat prétend faire souscrire