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portait jusqu’au système métrique ! Il y avait bien un parti d’hommes « éclairés », hostiles à l’Autriche plus encore que favorables à la France ; mais ceux-là s’en remettaient au roi de perfectionner la monarchie, et ils attendaient de ce prince, démocrate à sa manière royale, qu’il opérerait sans secousses le bien que la Révolution avait si incomplètement opéré en France, avec tant de désordre et de sang.

Sieyès eut son audience le 5 juillet. Il vanta l’alliance ; il ne cacha pas que l’objet de sa mission était de la conclure ; il vanta sa propre personne, sa franchise, sa moralité, sa loyauté : le système qu’il venait nouer était selon ses idées et selon son caractère ; il le dit, et il ajouta : « Ce système eût été celui de Frédéric, grand parmi les rois, immortel parmi les hommes... » Le lendemain eut lieu le couronnement de Frédéric-Guillaume III, avec la majesté mécanique et théâtrale des cérémonies prussiennes. Les représentans de la noblesse s’étaient groupés dans la salle blanche du palais, avec leurs costumes de gala, poudrés, et au milieu d’eux, le doyen de la cathédrale, en manteau violet. Parmi les diplomates chamarrés de cordons, les généraux, les ministres revêtus des uniformes traditionnels, on vit s’avancer un étranger de haute taille, au profil tranchant, au teint blême, avec un habit austère, qui parut funèbre, les cheveux noirs, sans poudre, une large écharpe tricolore étalée sur sa poitrine : c’était Sieyès. Tout le monde se le montrait au doigt. L’apparition de ce régicide altier répandait une sorte de frisson dans cette pompe royale, et jetait comme un son de glas dans les fanfares joyeuses qui saluaient l’aurore du règne.

Sieyès ne tarda pas à se sentir ébranlé dans sa superbe. Les froissemens vinrent d’abord, puis les déceptions. Le ministre Haugwitz n’eut-il pas l’étrange prétention de lui dépêcher le juif Ephraïm, courtier émérite de toutes les diplomaties et de tous les tripotages en Prusse. « L’emploi d’un intermédiaire choque mon âme républicaine », écrivait Sieyès. Il vit le prince Henri, ami consacré, quasi professionnel, de la France : « J’ai cru causer avec un Français... mais il est nul dans les affaires. » Si déplaisant que fût Ephraïm, il était délié, insistant. Sieyès s’aperçut que ce juif connaissait mieux que lui-même les hommes et les affaires, y compris celles de France. Il se résigna à passer par les mains crochues du « courtier politique ». Il se rapprocha d’Haugwitz, mais ce ne fut que pour constater combien ce diplomate