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était loin du grand politique, à la Frédéric, dont il s’était forgé l’image, afin de trouver à Berlin un partenaire à sa taille. « C’est, dit-il, beaucoup moins le ministre des affaires étrangères qu’une sentinelle placée à la porte avec la consigne d’empêcher les affaires d’entrer… Il croit gagner toutes les causes qu’il évite de traiter… Il finasse pour éviter d’entendre, il finasse pour éviter de répondre. Il s’accroche au premier mot pour vous égarer dans des anecdotes insignifiantes… » C’est le ministre des ajournemens, l’inertie, la neutralité faite homme ! Mais c’est la neutralité avec le Hanovre, les côtes de la mer du Nord, les embouchures de l’Elbe et du Weser. Sieyès trouve la Prusse trop empressée à y étendre sa garde noble et sa garantie ; mais il est bientôt contraint de reconnaître que cette neutralité est le dernier mot de Haugwitz.

Faute de se faire entendre par ce ministre, et de pouvoir tailler en Allemagne, il spéculait sur le papier et endoctrinait Talleyrand. Il y a singulièrement d’intelligence, d’avenir et de chimère dans les « considérations » qui remplissent ses rapports[1]. On y voit surtout se développer les deux combinaisons que Sieyès avait conçues dès 1790, comme le moyen, la conséquence, la consécration des « limites naturelles » : la Confédération du Rhin et le blocus continental. Il montre le danger de trop agrandir la Prusse et l’Autriche ; l’utilité d’empêcher la Prusse de s’étendre sur les côtes où elle pourrait aider les Anglais ; l’intérêt de séparer la Prusse de l’Angleterre ; de séparer la Prusse et l’Autriche de la France par une troisième, au besoin une quatrième Allemagne, une au nord, l’autre au sud, formées d’Etats indépendans, « les alliés les plus intéressans, les protégés de la République. » — « Avec eux, écrivait-il, le 14 juillet, la République tiendra sous son influence les côtes occidentales de l’Allemagne, la portion du globe la plus importante pour nous, quand on songe que, par ce moyen, le Directoire pourra, à son gré, fermer au commerce anglais tous les marchés, tous les ports du continent, depuis Gibraltar jusqu’au Holstein, ou même jusqu’au cap Nord… » Point de Hanovre aux Prussiens : il faut que ce pays soit sous la coupe directe de la France. A quoi servirait, autrement, d’avoir ôté aux Anglais « les leviers de la Belgique et de la Hollande » ! Il faut leur enlever tout pied-à-terre, direct ou indirect, sur le

  1. Rapports des 7, 24, 28 juillet et du 4 septembre 1798. Affaires étrangères.