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la force de la tendance à l’association par ressemblance du son.

A un degré un peu plus élevé, le calembour prend une certaine signification. Le second sens du mol sur lequel on joue se rattache vaguement au premier, mais sans que ce nouveau sens puisse prendre dans la phrase une place bien précise. Je me rappelle, en ce genre, un vieux dessin représentant un général qui trouvait, disait la légende, « un moyen aussi neuf qu’habile de réveiller la guerre en Algérie. » Cela n’est pas encore bien remarquable ; cependant ce procédé bien employé peut donner des allusions voilées assez piquantes. Enfin, à un degré supérieur, les deux sens s’accompagnent jusqu’au bout et peuvent ou doivent se remplacer. « Sire, disait le marquis de Bièvre au roi qui lui demandait un calembour sur sa propre personne, sire, vous n’êtes pas un sujet. » Il peut d’ailleurs y avoir mieux. Un cordonnier dans une réunion publique prend la parole, la garde, s’embrouille, et s’essouffle. « Citoyen, lui crie-t-on, reprenez votre haleine. » Le prince de Ligne, qui se servait sans ménagement de son esprit, rencontre l’archiduc Albert battu à Jemmapes et relevant d’une maladie qui avait été la suite de son insuccès. L’archiduc demande au prince s’il ne le trouve pas changé. « Je vous trouve, monseigneur, repart celui-ci, l’air encore un peu défait. »

On voit comment, dans ce genre d’exercice, le plaisir s’élève à mesure que l’association par ressemblance ne devient plus qu’un moyen ; à mesure que le double sens éveillé par un seul son sert de deux côtés à la fois une pensée définie et précise, au lieu de rester incohérent ; c’est-à-dire, à mesure que l’association systématique générale l’emporte sur l’association par ressemblance et se la subordonne. Dans tous ces derniers exemples, le second sens en effet ne vient pas au hasard, il est même parfois l’essentiel ; tout au moins il complète, rectifie ou transforme la signification du premier. De là résulte, ou peut résulter, dans les cas les plus heureux, une impression assez complexe, avec l’indécision nécessaire pour la rendre plus subtile et écarter les obstacles qui l’empêcheraient de pénétrer. Il faut déjà reconnaître ici au jeu de mots, une certaine importance pour l’expression des idées qu’on ne voudrait pas énoncer explicitement. L’allusion, si fine parfois et souvent si utile, se rattache étroitement au calembour, puisqu’elle consiste essentiellement à éveiller, au moyen d’un mot ou d’une phrase à double entente, deux cortèges distincts d’images