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rattaché à son fonctionnement ordinaire, c’est qu’on le retrouve dans des civilisations très différentes et que nous n’avons guère de raisons de ne pas supposer indépendantes l’une de l’autre. En effet il a été employé au Mexique comme en Égypte. Le nom d’un roi de Mexico par exemple, Itzcohuatl, le serpent d’obsidienne, pouvait se représenter par un idéogramme complexe : un serpent garni de flèches d’obsidienne, mais il se représentait aussi en rébus par une flèche d’obsidienne, un vase, et le signe de l’eau.

Si le calembour et même l’usage intelligent du jeu de mots ne sont pas d’un seul temps ni d’un seul pays, à une époque très reculée la confusion des sons présentait déjà, à côté d’avantages singuliers, de très visibles inconvéniens. Les Chinois, avec leur idiome monosyllabique, employaient beaucoup de mots dont le son était le même et dont les sens différaient. Le calembour devenait trop facile et même gênant. Il fallut recourir à des moyens artificiels pour enrayer l’association ou la confusion des idées par l’assonance. Les Chinois se préservèrent de ses désagrémens, dans le langage écrit, par l’emploi des « clés » indiquant la catégorie d’idées dans laquelle il fallait prendre le sens du mot employé, et, dans le langage parlé, par l’adjonction à un mot d’un autre mot dont une des acceptions coïncide avec le sens que l’on veut donner au premier. Les forces psychiques, comme toutes les forces naturelles, ont besoin de surveillance et de direction : l’irrigation utile dégénère facilement en inondation désastreuse.

On ne saurait être trop reconnaissant au calembour de nous avoir valu l’alphabet. Jamais peut-être il ne fut aussi utile. Mais son intervention dans la vie du langage ne s’est pas bornée là, et d’ailleurs, elle ne s’est pas encore arrêtée. Je rappellerai ici que l’onomatopée a contribué soit à former soit à enrichir la langue. On a beaucoup discuté sur la nature et la portée de son influence. Son rôle ne paraît pas avoir été aussi essentiel que quelques-uns l’ont prétendu. Cependant son importance fut réelle, et non seulement on a pu désigner certains objets en reproduisant vaguement les sons qui les rappelaient, mais encore on a souvent, semble-t-il, été conduit à faire l’onomatopée quand elle n’existait pas, à rapprocher le son du mot du son produit par l’objet qu’il désigne. Certains mots se seraient ainsi modifiés peu à peu, de manière à devenir plus rapprochés qu’ils n’étaient d’une onomatopée. Dans tous ces faits, le rôle de l’analogie des sons et des